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Myriam Makeba, La Grande Star Du Premier Festival Panafricain D’alger De 1969

L’Afrique du Sud est un pays qui fascine toujours pour la force de son peuple qui a su se battre contre un racisme d’Etat, unique dans l’histoire de l’humanité, mais aussi pour un peuple qui a su pardonner, sans oublier, en créant ce que Nelson Mandela appelle ‘un pays arc-enciel’. Des personnalités marquantes ont émergé de cette région australe de l’Afrique comme, bien entendu, Nelson Mandela, Desmond Tutu, De Klerk, des écrivains comme Lewis Nkosi, Dennis Brutus, Nadine Gordimer ou André Brink, pour ne citer que quelques uns.
 
Et il y a Myriam Makeba, porte drapeau de tout un peuple en lutte contre l’apartheid, à son corps défendant, comme elle l’a souvent déclaré. Le monde entier connaît Myriam Makeba grâce à sa célèbre chanson Pata Pata, une chanson du répertoire traditionnel et une danse qui viennent directement des Townships de Johannesburg, de la tradition orale Zulu. En effet, Myriam Makeba est née à Soweto, Johannesburg, le 4 mars 1932, de son vrai nom Zenzile Makeba Qgwashu Nguvama. En effet, son père était de la région du Transkei et sa mère de Swaziland. La grande chanteuse sud-africaine s’est effondrée dans les coulisses d’une salle de spectacle à Castel Volturno en Italie le 10 novembre 2008 au moment où elle s’apprêtait à retourner sur scène pour un rappel. Elle a été emportée par une crise cardiaque.
 
Myriam Makeba signifiait énormément pour des milliers de personnes à travers le monde. Le jour de son décès, mon émotion personnelle fût grande, car je l’avais rencontrée lors du premier Festival panafricain d’Alger. J’étais guide interprète pour ce Festival fabuleux et le souvenir est encore vivace : elle promenait sa fille bébé dans les jardins ombragés de l’hôtel El Djazaïr, ex-Saint George, en cet été superbe et enchanteur de 1969. Impressionné par sa présence, j’ai quand même osé échanger quelques mots avec elle. Je me rappelle qu’elle m’avait dit combien elle était fière d’être en Algérie, pays qui s’est libéré du colonialisme, avec ce grand sourire et des yeux immenses. J’étais frappé par la gentillesse et l’humilité de cette dame qui ne se voyait pas comme star, mais comme une militante anti-apartheid, ambassadrice de la culture sud-africaine noire. Le soir même de ce moment fugace, elle chantait à la salle Atlas à Bab El Oued en présence du Président Boumediene. Elle avait bien sûr interprété Pata Pata, mais aussi une chanson en algérien « Ana Hourra fi El Djazaïr », (je suis libre en Algérie) des paroles qui signifiaient tant pour celle qui venait de Soweto. Elle était superbe dans ses costumes Zulu, ses coiffes de reines Zulus et ses danses qui ont fait vibrer les Algérois. Il faut rappeler qu’à l’époque, elle était mariée à Stockeley Carmichael, le chef des Black Panthers, qui résidait en Algérie. Au nom de l’Algérie, le Président Boumediene lui avait remis un passeport algérien. Le symbole était fort en 1969.
 
Exilée d’Afrique du Sud, Myriam Makeba avait obtenu la nationalité guinéenne dans les années 60. En 1990, elle avait obtenu la nationalité française également. Myriam Makeba a lutté contre l’Apartheid de toutes ses forces, contre tous les apartheid, contre les injustices, contre tous les racismes. Elle a été fidèle à ses idéaux jusqu’au bout puisque militante encore à 76 ans, voyageant à travers le monde pour les bonnes causes. Le concert qu’elle donnait en Italie était en soutien à Roberto Saviano, auteur du film Gomorra, menacé de mort par la Mafia napolitaine. Son engagement n’a jamais failli comme elle l’affirme dans son autobiographie « Makeba, My story » publiée en 1988 : « ma vie, ma carrière, chaque titre que je chante et chaque concert sont liés au destin de mon peuple ». Cette vérité n’a jamais été démentie. Née en 1932 à Johannesburg, elle a, dès sa prime jeunesse, été attirée par la chanson. A l’âge de 22 ans, elle rejoint les Manahattan Brothers, un groupe qui mélange le swing et les mélodies traditionnelles. Remarquée pour sa voix chaude, elle a été sollicitée par l’américain Lionel Rogosin à chanter deux de ses chansons dans un film coécrit avec le romancier sud-africain Lewis Nkosi, «Come Back Africa», un film qui décrit les conditions de vie des Sud-africains noirs sous l’apartheid. Ce film a été projeté à l’époque au Festival de Venise en présence de Myriam Makeba qui avait réussi à faire le voyage d’Afrique du Sud, un exploit pour une Noire sud-africaine en pleine période apartheid. La réaction du régime sud-africain ne s’est pas faite attendre. On lui a interdit de revenir en Afrique du Sud. Un long chemin d’exil avait alors commencé.
 
Myriam Makeba n’a jamais cessé de dire au monde que l’Afrique du Sud était une vaste prison pour le peuple noir. Une errance qui a duré plus de trente ans. Myriam Makeba n’est retournée dans son pays qu’en 1991 après la libération de Nelson Mandela de Roben Island. En 1992, elle a accepté de jouer dans « Sarafina » avec Whoopi Goldberg, un film qui raconte les évènements de Soweto de 1976. La vie de Myriam Makeba a été bien remplie, toujours au service de son peuple d’Afrique du Sud, des opprimés, des laisser pour compte. A ce propos, après son retour en Afrique du Sud, elle a décidé de s’occuper de jeunes filles abandonnées ou violée, en ouvrant un centre d’accueil. Elle explique elle-même pourquoi dans un entretien : « Tout le monde m’appelle « Mama Afrika », alors quand je suis revenue chez moi, je me suis demandé, « qu’as-tu fait pour mériter ce nom? ». J’ai créé alors ce centre Makeba qui accueille dix huit filles entre dix et dix sept ans, orphelines, abusées. On essaie de les réintégrer dans les écoles, de les aider à retrouver un sens dans la vie ».
 
Ainsi, au-delà des belles mélodies que sont ses chansons, les paroles qu’elle chante tournent toujours autour de la paix, de la tolérance, de l’amour et du devoir de mémoire. Elle a reçu de nombreuses récompenses comme le célèbre Grammy Awards en 1966 pour son disque enregistré avec Harry Belafonte « An evening with ». En 1985, elle a aussi reçu le titre prestigieux de Chevalier des arts en France. On ne le sait pas beaucoup, mais elle a même chanté avec Marilyn Monroe, lors de l’anniversaire du Président Kennedy. En 2002, elle a reçu le Polar Music Prize. Elle a chanté dans différentes langues sud-africaines, le zulu, le xhosa et le tswana. Elle a chanté aussi en anglais, bien entendu.
 
Sa voix chaleureuse, ses convictions qu’elle a défendues jusqu’au bout de la nuit, resteront dans les cœurs. Le jour de sa mort, Nelson Mandela a déclaré : « Elle était la première dame sud-africaine de la chanson et elle mérite le titre de Mama Africa. Elle était la mère de notre combat et de notre jeune nation ». Quel bel hommage venant de l’homme qui a rendu possible l’existence d’un pays arc-en-ciel même si Myriam Makeba ne s’est jamais considérée comme révolutionnaire ou femme politique. Elle a toujours revendiqué son statut de chanteuse et de femme libre. En 2000, elle a déclaré à ce propos : « Je ne me suis jamais considérée comme une activiste. Je ne faisais que dire la vérité ». Myriam Makeba, la Mama Africa, était panafricaine dans l’âme, la meilleure ambassadrice de tout un continent, dans tout ce que l’Afrique a de meilleur. La célébrité et la gloire ne l’ont jamais changée, une véritable artiste engagée, dans le sens noble du terme. Sa belle mélodie « Malaïka » a fait le tour du monde, c’était une chanson douce pour une Afrique apaisée qu’elle a toujours souhaité, elle pour qui la vie n’a pas fait de cadeau malgré sa célébrité. L’Afrique a perdu une grande dame de cœur.

Auteur

Benaouda LEBDAI

Pagination

Pages  15

Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres

Volume 05 N° 02,​ Septembre 2009

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