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Une Histoire Des Formes Elitaires Au Maghreb

Être notable au Maghreb. Dynamique des configurations notabiliaires
sous la direction de Abdelhamid Hénia
Tunis, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain / Paris,
Maisonneuve & Larose, 2006, 366 pages,
ISNB: 978-2-7068-1802-8, 35
 
Cet ouvrage collectif réunit un ensemble de textes qui aspirent à donner une image sur la construction des différentes formes d’élites dans des espaces géopolitiques et des contextes socio-historiques variés. Il est le fruit d’un colloque international qui s’est tenu à Tunis les 17, 18 et 19 septembre 1998, sur le thème : Villes et territoires au Maghreb : mode d’articulation et formes de représentation. Il fut organisé par l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, avec le concours de l’Université de Tunis et de la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis. Regroupant une vingtaine de communications de chercheurs issus de différents pays, dont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la France et l’Allemagne, l’ouvrage propose de nous donner des flashs-back sur la question des différentes formes notabiliaires qui ont émergé à certains moments de leur histoire au niveau de cinq pays du grand Maghreb que sont l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Tripolitaine et la Mauritanie. C’est donc à partir de l’étude de certaines personnalités (aussi bien de niveau local que national) dans leurs contextes historique, social, politique, économique, culturel et religieux que les auteurs tentent de nous renseigner à travers leurs contributions sur certaines formes de pouvoir et d’influence qui ont caractérisé ces derniers.
 
Si cette étude porte exclusivement sur le Maghreb, il faut savoir néanmoins que la question de la formation notabiliaire et élitaire n’a, quant à elle, rien de spécifique à cette région du monde arabe.
 
Comme l’écrit Abdelhamid Hénia dans l’introduction ; « Ce livre vise tout d’abord à comprendre comment la notabilité se construit en s’adaptant aux changements sociopolitiques. En considérant les notables comme autant de figures emblématiques des mutations vécues par les sociétés maghrébines, il nous a paru possible d’appréhender la notabilité comme une pratique sociale à part entière et de rendre compte de l’historicité du phénomène (Pages 11-12). Mais s’il vise à comprendre comment la notabilité se construit en s’adaptant aux changements sociopolitiques, il tente aussi tout d’abord de saisir cette réalité géopolitique dans une variété d’espaces et de contextes sociétaux, tout en étant conscient que les états ne s’y sont pas construits de la même manière. Il est donc logique que les contributions présentées dans cet ouvrage traitent de la notabilité mais elles sont abordées dans des contextes historiques, géopolitiques et socioculturels différents, ce qui permet, bien évidemment, de donner une idée générale sur les différentes formes de notabilité qui ont existé dans la région à travers les temps mais qui rend aussi le travail de synthèse du livre assez difficile. Nous proposons à cet effet que soit donné des flashs sommaires sur chacune des contributions qui donnent forme à cet ouvrage collectif.
 
Quatre temps bien distincts y sont abordés et correspondent aux quatre chapitres principaux qui le forment et qui sont : les formes élitaires pré-étatiques, le temps de la figure du cheikh et du pouvoir suzerain, le temps des notables-caïds et du pouvoir souverain et les nouvelles figures notabiliaires des périodes coloniale et postcoloniale.
 
Dans formes élitaires pré-étatiques (chapitre I), il est question du patronat des cités dans les provinces romaines d’Afrique (321 Apr. J.C.). Choisi par la cité pour défendre ses intérêts devant les autorités provinciales ou centrales et bénéficier le cas échéant, de ses générosités, le patron d’une cité était à l’époque romaine un personnage d’un rang social plus ou moins élevé. Élu au sein de la curie, il recevait ensuite une tablette de bronze où était inscrit le contrat de patronat et dont un exemplaire était de patronat et dont un exemplaire était  conservé par la cité intéressée.
 
Ensuite, au niveau de ce premier chapitre, à part une contribution où il était question d’allégeance politique et de territoire et où l’on cherchait à savoir si l’extension territoriale de la souveraineté italienne sur la tripolitaine pouvait se réaliser à travers l’allégeance politique de ses chefs ? Toutes les autres contributions étaient plutôt recentrées sur des formes élitaires religieuses. Elles traitent donc de la notabilité religieuse et du rôle de l’imamat à cette époque qui ne restait pas seulement cloîtré entre les murs de la mosquée mais qui était aussi muni d’un rôle social et politique. Car à ce moment là, le monopole du pouvoir dans le ksar, passait d’abord par l’appropriation de cet édifice culturel propre à l’islam, et monument principal de la ville. Ce dernier possédait donc une fonction symbolique puissante et représentait le noyau du pouvoir non seulement religieux, mais également politique et social.
 
La lente construction de la jurisprudence, quant à elle, était due à ce que les sociétés étaient vraiment imprégnées par la religion. Le poids de la coutume dans le droit faisait donc que les hommes de loi n’avaient pas bonne renommée auprès des populations qui préféraient consulter les imams1 et les muftis2. Nous est donc présentée à travers trois cas concrets, une résistance aux règlements juridiques par le recours à ces derniers, qui se remettaient à la fatwa qui s’appuie quant à elle sur les principes de l’islam et qui se présente donc avec plus de compétences car imprégnée de coutume.
Une autre catégorie prise en considération est celle des ‘Ulamâ’ et Awliya3 dans l’Algérie et la Tunisie des XVIè et XVIIè siècle. Ces derniers, étant perçus comme détenteur d’un pouvoir parallèle4 et d’une baraka5, représentent donc des sortes de chefs spirituels vénérés par les tribus ou les communautés villageoises auxquels ils appartiennent. Ces dernières leur témoignent attachement et foi en leurs charismes.
 
Dans le temps de la figure du cheikh et du pouvoir suzerain (chapitre II), nous entrons dans le XVIIIè et XIXè siècle.
 
Dans la Tunisie de l’intérieur, la ponction fiscale constituait le champ de rencontre principal entre les communautés et le pouvoir central. Mais il était de l’intérêt du pouvoir central qu’un médiateur soit élu ou désigné pour représenter sa communauté. Ce Cheikh devait bien évidemment présenter des garanties, comme par exemple être issu d’une grande famille, avoir du charisme et détenir richesses et pouvoir économique. Le choix du cheikh se faisait par l’ensemble des notables de la communauté qui constituaient le conseil du groupe.
 
La question de la territorialisation et de la sphère d’influence des lignages est aussi abordée dans ce chapitre à travers un exemple d’alliances matrimoniales de notables. On y montre comment des familles maraboutiques opèrent à travers des stratégies matrimoniales pour renforcer et élargir leur rayonnement et leur pouvoir symbolique sur le territoire local et pour ancrer aussi leurs relations avec les espaces extérieurs. Ces deux sortes d’alliances matrimoniales qui s’inscrivent dans la consolidation de l’assise locale du groupe ou du prestige et de l’articulation avec l’extérieur s’inscrivent aussi bien dans les registres du système endogamique qu’exogamique.
 
Toujours avec l’appui des stratégies matrimoniales, un autre article montre comment une famille maraboutique de Jerba, arrive à disposer d’influence et de pouvoir, non pas par la richesse des notables mais grâce à l’appui des forces politiques et religieuses qui constituaient à l’époque le pouvoir central. Et cela montre comment un cheîkh de zaouia à pu être élu à la tête du pouvoir local par les forces du pouvoir central dans une stratégie de désacralisation de l’espace ibadite.
A Fès, d’après une contribution sur la rébellion de Fès au début du XIXe siècle, nous constatons que la population de cette ville était une société hétérogène constituée de quatre groupes principaux que sont les shurfâ’, les baldiyîn, le « peuple » et les zaouîas. Chacun de ces groupes avait une marge d’action plus ou moins étendue au niveau local et/ou global, ce qui les mettait dans des positions de supériorité ou d’infériorité ou de dominant et de dominés. Après la rébellion (1820- 1822) dont l’enjeu était essentiellement économique, Fès vécut une rupture identitaire et un ébranlement de la hiérarchie locale, ce qui créa une « massification » de l’élite et une « élitisation » des masses entraînant de la sorte une déchéance des valeurs fondant la hiérarchie initiale.
 
Enfin, pour terminer ce second chapitre, une contribution prenant Tripoli pour terrain d’étude nous montre à travers l’affaire ‘Ali al-Qarqânî que l’accaparation d’une forme de pouvoir par certaines personnes peut parfois porter nuisance à toute une population. Effectivement, shaykh al-bilâd dont on nous parle a profité de son statut et de ses appuis à la seule fin de s’enrichir en utilisant ses hommes de mains et ses réseaux, détruisant ainsi l’équilibre institué entre les trois instances du pouvoir politique que sont le wali, shaykh al-bilâd et jamâ’at al bilâd.
Dans le temps des notables-caïds et du pouvoir souverain (chapitre III), nous sommes au XIXe siècle. On y trouve l’itinéraire d’un notable qui soignait son image selon les valeurs des sociétés tribales, en faisant preuve de courage, d’hospitalité, d’éloquence…pour se distinguer, imposer son autorité morale et s’assurer de la loyauté de ses membres. En plus de son appartenance à un groupe tribal à poids démographique important, nous pouvons aussi voir qu’il a profité des alliances matrimoniales de sa famille pour élargir sa sphère d’influence, et en tissant des réseaux de relation avec des hommes influents d’autres tribus, allant jusqu’à rendre d’importants services au pouvoir central, il su consolider son ascendant et jouir de ce fait d’une importante carrière notabiliaire.
 
On y aborde aussi un cas de compétition politique, où l’ascension est calculée et où le personnage repose sa notoriété sur quatre assises que sont : le poids démographique non négligeable d’une fraction tribale, le lien de sang et d’alliance au service d’un pouvoir économique, une aptitude aux médiations sociopolitiques et une maîtrise de l’écriture ainsi qu’une symbolique des emblèmes onomastiques (contenu dans le nom de l’acteur).
 
Une autre contribution traite des notabilités juives marocaines. Elle met en évidence ses intérêts qui vise l’accès à l’autorité, la constitution de fortunes et le tissage de relations.
 
Puis, on nous relate en fin de chapitre l’émergence et le développement d’un pouvoir économique et politique parallèle à celui du sultan. Ce fait qui eut des retombées concrètes sur la réalisation de l’indépendance du pays, ne laissa pas l’auteur indifférent, se demandant si le sultan, conscient que l’indépendance de son pays devait passer par l’affirmation d’une autre puissance que la sienne, n’a pas participé sciemment à la fragilisation apparente de son pouvoir.
Dans les nouvelles figures notabiliaires des périodes coloniale et post-coloniale (chapitre IV), nous sommes au XXème siècle.
 
En Algérie, le poids du local (des régions) et ses cultures suscitent des contestations identitaires et politiques, qui sont ici traités en mettant bien sûr en avant une réflexion historique mais sans négliger aussi les logiques de contestation des acteurs et des territoires au courant des années 1980-1990.
 
Il y est aussi question du rôle des notables dans la gestion territoriale ; l’accent est mis sur les relations de pouvoir entre des notables et les pouvoirs locaux, comme on y montre également les enjeux de la gestion des centres commerciaux au niveau des villes Marocaines.
 
Ensuite on nous renseigne sur les stratégies notabiliaires dans la recomposition urbaine de Casablanca.
 
Puis on y traite du système notabiliaire et des changements sociaux dans une petite ville du Sahel Tunisien. En montrant les transformations réalisées par une famille d’entrepreneurs au niveau d’une ville (Boumerdès) qui gagne de l’importance et qui se transforme d’un bourg en un grand pôle d’attraction, grâce aux investissements de ces derniers, ce qui leur permet à ce moment-là de « rester maître chez soi tout en restant ouvert sur l’extérieur ».
 
Enfin, une dernière contribution nous permet de faire le point sur la définition du notable et la manière dont il est perçu, ainsi que l’évolution qu’a subit son image, tout au long des changements et des contextes historiques, politiques, économiques, sociaux, culturels et religieux.                     

Notes

​ 1 « “Imamat” correspond au verbe “amma, ya’ummu” qui signifie être le premier, ouvrir la voie, diriger. », In : Mustapha Hogga, Muhammad ibn Muhammad Abû $âmid alazâlî, Orthodoxie, subversion et réforme en Islam : azâlî et les seljûqides : suivi de textes politiques de azâlî, éditions Vrin, Paris, 1993, p. 49.
2 Un mufti, est un religieux musulman sunnite qui est un interprète de la loi musulmane ; il a l’autorité d’émettre des avis juridiques, appelés fatwas, « chargé de donner la décision juridique sur laquelle s’appuiera la sentence », in : Louis Gardet, La cité musulmane: vie sociale et politique, éditions Vrin, Paris, 1976, p. 136
3 « Savants », bien entendu dans le domaine des affaires religieuses.
4 Saints.
5 Don divin ou « sorte de bénédiction divine », in : Marie-Luce Gélard, Le pilier de la tente: rituels et représentations de l’honneur chez les Aït Khebbach (Tafilalt), Editions MSH, Paris, 2003, p. 19.

Auteur

Tayeb REHAiL

Pagination

Pages  12-13

Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres

Volume 05 N° 02,​ Septembre 2009

CRASC

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