Il est difficile d’évoquer le parcours scientifique ou littéraire de certaines personnes connues par leurs œuvres riches inhérentes aux questions relatives à leurs sociétés et à leurs époques. Khatibi est parmi ceux qui ont tracé eux-mêmes leurs parcours et qui ont défini leurs inspirations et leurs voies. Un entretien accordé à A. Kohen Lamrhili cité dans l’ouvrage de Khatibi intitulé Penser le Maghreb, permet globalement d’illustrer les grandes orientations de pensée de cet auteur qui se caractérise en général par une écriture destinée à un usage universel, car comme Nietzsche « Il n’écrit pour personne mais il écrit pour tous »1 (Khatibi 1993).
Sur ses débuts
Khatibi après une scolarité au Maroc où il est né (à El-Jadida), a bien étudié à la Sorbonne, en s’ouvrant sur les méthodes et les théories « occidentales » non seulement en sociologie, mais aussi en psychologie, philosophie, linguistique, sémiologie… Ceci constitue une ouverture métissée avec le vécu d’une autre société, dotée de certaines caractéristiques et spécificités. En revanche, Khatibi décide de s’installer définitivement au Maroc affirmant : « depuis la fin de mes études à Paris (en 1964), j’habite et je travaille au Maroc…j’ai intégré l’université dès mon retour en tant qu’enseignant et chercheur. J’ai participé, comme je le fais maintenant, à l’activité culturelle du pays. Plus culturelle que directement politique : c’est ma manière de travailler à l’écart de l’agitation. Mais il ne faut pas oublier que je suis un des fondateurs du Syndicat national de l’enseignement supérieur. C’était une période où je me cherchais moi-même : toutes les instances de la société marocaine m’intéressaient »2.
On remarque à travers un entretien accordé à Hamid Abtatou, que Khatibi voulait promouvoir la sociologie en tant que référence pour les projets qui ont une relation directe avec le vécu quotidien du citoyen. Khatibi justifie cela en disant : « nous avons besoin également de la raison sociologique dans le domaine des applications…il y a le problème des classes, le problème de la marginalisation des zones rurales et les influences des civilisations du monde sur la société magrébine…et tout cela a besoin d’une analyse sociologique et d‘une sociologie qui dialogue avec d’autres disciplines comme c’était le cas dans les années soixante où il y avait un dialogue avec l’histoire, la géographie et l’économie. Pour démontrer cela, nous nous référons à la revue Le Bulletin économique parce qu’elle donnait un aperçu sur les domaines qui nous intéressaient »3.
Le retour au pays dans ces conditions n’a pas été arbitraire ou dépourvu de sens, mais c’était un acte orienté par une conception particulière de ce qu’est l’intellectuel par rapport à ses missions au sein non seulement de sa société mais aussi au sein du monde, car selon lui l’intellectuel est : Le récepteur et le transmetteur des signes de son époque, lorsqu’il n’est pas, lui-même, un créateur et un inventeur. Qu’il soit conservateur, réformateur ou inventeur, l’intellectuel joue une ou plusieurs fonctions, avec plus ou moins de force :
On remarque à travers un entretien accordé à Hamid Abtatou, que Khatibi voulait promouvoir la sociologie en tant que référence pour les projets qui ont une relation directe avec le vécu quotidien du citoyen. Khatibi justifie cela en disant : « nous avons besoin également de la raison sociologique dans le domaine des applications…il y a le problème des classes, le problème de la marginalisation des zones rurales et les influences des civilisations du monde sur la société magrébine…et tout cela a besoin d’une analyse sociologique et d‘une sociologie qui dialogue avec d’autres disciplines comme c’était le cas dans les années soixante où il y avait un dialogue avec l’histoire, la géographie et l’économie. Pour démontrer cela, nous nous référons à la revue Le Bulletin économique parce qu’elle donnait un aperçu sur les domaines qui nous intéressaient »3.
Le retour au pays dans ces conditions n’a pas été arbitraire ou dépourvu de sens, mais c’était un acte orienté par une conception particulière de ce qu’est l’intellectuel par rapport à ses missions au sein non seulement de sa société mais aussi au sein du monde, car selon lui l’intellectuel est : Le récepteur et le transmetteur des signes de son époque, lorsqu’il n’est pas, lui-même, un créateur et un inventeur. Qu’il soit conservateur, réformateur ou inventeur, l’intellectuel joue une ou plusieurs fonctions, avec plus ou moins de force :
- Une fonction pédagogique et technique : il initie aux choses de la pensée et de l’art, se donnant lui-même comme un modèle ;
- Une fonction sociale : il éveille l’esprit à l’intelligence et à la sensibilité de son époque…il lui arrive de s’engager dans la vie politique, mais il est rare qu’il y fasse longtemps carrière ;
- Une fonction éthique : il est obligé de s’adapter continuellement aux principes et aux valeurs qu’il défend.
Tout intellectuel appartient donc à son époque. Or, notre époque, à la fin de ce siècle, est engagée dans un changement décisif : un nouveau partage du monde en zones d’influence.
Le clivage entraîne une hiérarchie entre groupes de pays et aires de civilisation; le libéralisme démocratique y constitue le fer de lance, l’idéologie dominante, présenté comme la valeur suprême de l’humanisme universel et du « nouvel ordre international »4.
Le clivage entraîne une hiérarchie entre groupes de pays et aires de civilisation; le libéralisme démocratique y constitue le fer de lance, l’idéologie dominante, présenté comme la valeur suprême de l’humanisme universel et du « nouvel ordre international »4.
Projet en plusieurs perspectives
En fonction du rôle attribué à l’intellectuel, et selon la caractéristique de « l’instant historique » qui met sans doute les sociétés nouvelles en danger, il est normal de voir se dresser les traits du sérieux et de l’engagement inconditionnel sur la personnalité du regretté, puisque lui-même nous révèle : « en fait, je suis un être très engagé dans ce que je fais…je suis très engagé dans ce que je donne à lire…un sérieux qui joue tout de même avec la gravité de la vie. Pour moi, l’engagement (gardons à ce mot sa résonance sartrienne) et la transformation de ce que je sens et pense en une forme littéraire et d’écriture »5.
Sa position est basée sur deux données fondamentales : la première est liée à « l’ère du temps » (l’universel) dont la mondialisation est le vecteur majeur, et l’autre est relative à « l’esprit du peuple » (le local) représenté par « l’hétérogénéité de la société. Pour lui, l’hétérogénéité marocaine tant linguistique que culturelle (berbérité, arabité, occidentalité, culture populaire) est à prendre en charge d’une façon rigoureuse au lieu de valoriser l’un au détriment de l’autre »6. Ceci revêt son projet d’un caractère de «double critique», car « le regretté s’est tant réclamé pour l’adoption d’une pensée autre couronnée d’une double critique qui ne soit ni rationnelle ni irrationnelle comme c’est le cas en Occident. Cette pensée nouvelle doit procéder à une double secousse lui permettant l’édification d’une pensée plurielle »7. Khatibi exprime ainsi son opinion critique du patrimoine et de la mondialisation en affirmant : « nous savons très bien que d’un côté théorique il faut conserver le patrimoine et l’étudier continuellement parce qu’il ne suffit pas de le considérer comme un folklore…On remarque que la globalisation existe depuis longtemps, elle n’est pas quelque chose de nouveau car les films américains existent dans le monde il y a un certain temps de cela. L’image constitue la deuxième et la plus importante production après l’industrie d’armements »8.
Appréhender le patrimoine et la civilisation n’est pas une affaire simple, considérant que « Plus elle est ancienne, plus une civilisation cache les secrets de sa lente maturation. »9 En effet, le fait direct n’est pas un fait réel, car il est seulement un symbole compréhensible par le biais de l’analyse, l’interprétation et la fouille, illustrées par exemple dans La mémoire tatouée. Et en ce qui concerne les noms propres, Khatibi met l’accent sur son prénom Abdelkebir, en essayant de définir sa signification à travers l’histoire et la mémoire, car dans « la Mémoire tatouée »… connaître le nom, c’est connaître sa surcharge symbolique…la mémoire cachée dans le nom s’oublie parce que celui-ci est assagi par des siècles d’usage quotidien qui l’ont démotivé, par son équivalence au moi qui le siège »10. Les phénomènes de l’ordre de l’impensable aujourd’hui n’étaient pas pareils comme au passé. Il est possible de tirer profit des études précédentes relatives aux pratiques du quotidien. On remarque dans La blessure du nom propre que : « parmi les questions les plus jaillissantes dans ce livre, celle de la sexualité ; qui est de l’ordre de l’impensable, devient primordiale dans la préoccupation d’une large élite parmi les écrivains, les littéraires et les artistes arabes. Ce qui a rendu ce sujet (sexualité/rapports sexuels) marquant dans la culture arabe c’est le livre du Cheikh El Nafzaoui intitulé : le jardin parfumé sur lequel Khatibi s’est basé ; ce qui lui a permis d’apporter un élément nouveau dans les études arabes ; il s’agit d’un retour vers les travaux considérés par la culture arabe comme appartenant à l’ère du déclin »11.
Sa position est basée sur deux données fondamentales : la première est liée à « l’ère du temps » (l’universel) dont la mondialisation est le vecteur majeur, et l’autre est relative à « l’esprit du peuple » (le local) représenté par « l’hétérogénéité de la société. Pour lui, l’hétérogénéité marocaine tant linguistique que culturelle (berbérité, arabité, occidentalité, culture populaire) est à prendre en charge d’une façon rigoureuse au lieu de valoriser l’un au détriment de l’autre »6. Ceci revêt son projet d’un caractère de «double critique», car « le regretté s’est tant réclamé pour l’adoption d’une pensée autre couronnée d’une double critique qui ne soit ni rationnelle ni irrationnelle comme c’est le cas en Occident. Cette pensée nouvelle doit procéder à une double secousse lui permettant l’édification d’une pensée plurielle »7. Khatibi exprime ainsi son opinion critique du patrimoine et de la mondialisation en affirmant : « nous savons très bien que d’un côté théorique il faut conserver le patrimoine et l’étudier continuellement parce qu’il ne suffit pas de le considérer comme un folklore…On remarque que la globalisation existe depuis longtemps, elle n’est pas quelque chose de nouveau car les films américains existent dans le monde il y a un certain temps de cela. L’image constitue la deuxième et la plus importante production après l’industrie d’armements »8.
Appréhender le patrimoine et la civilisation n’est pas une affaire simple, considérant que « Plus elle est ancienne, plus une civilisation cache les secrets de sa lente maturation. »9 En effet, le fait direct n’est pas un fait réel, car il est seulement un symbole compréhensible par le biais de l’analyse, l’interprétation et la fouille, illustrées par exemple dans La mémoire tatouée. Et en ce qui concerne les noms propres, Khatibi met l’accent sur son prénom Abdelkebir, en essayant de définir sa signification à travers l’histoire et la mémoire, car dans « la Mémoire tatouée »… connaître le nom, c’est connaître sa surcharge symbolique…la mémoire cachée dans le nom s’oublie parce que celui-ci est assagi par des siècles d’usage quotidien qui l’ont démotivé, par son équivalence au moi qui le siège »10. Les phénomènes de l’ordre de l’impensable aujourd’hui n’étaient pas pareils comme au passé. Il est possible de tirer profit des études précédentes relatives aux pratiques du quotidien. On remarque dans La blessure du nom propre que : « parmi les questions les plus jaillissantes dans ce livre, celle de la sexualité ; qui est de l’ordre de l’impensable, devient primordiale dans la préoccupation d’une large élite parmi les écrivains, les littéraires et les artistes arabes. Ce qui a rendu ce sujet (sexualité/rapports sexuels) marquant dans la culture arabe c’est le livre du Cheikh El Nafzaoui intitulé : le jardin parfumé sur lequel Khatibi s’est basé ; ce qui lui a permis d’apporter un élément nouveau dans les études arabes ; il s’agit d’un retour vers les travaux considérés par la culture arabe comme appartenant à l’ère du déclin »11.
Sur la méthode
Khatibi se distingue par l’utilisation de différentes sciences humaines contemporaines dans ses lectures du quotidien et du patrimoine sans voir d’adversités entre elles. Il sait que concevoir l’Homme marocain dans son environnement et son histoire nécessite une attention particulière à l’art de l’écriture et à la signification des prénoms et leurs origines historiques, comme cela nécessite par ailleurs une reconnaissance de la diversité linguistique.
Khatibi s’est appuyé sur l’observation composée et dialectique du réel et de l’être, afin d’obtenir l’homogénéité et la construction ; nous relevons dans ses propos : « ma manière de procéder – habituelle chez tout analyste – est d’observer en s’observant. J’avance vers les choses, vers les questions d’abord par intuition (je ne barre pas), puis, par tâtonnement, j’arpente le site de ma propre parole…On veut m’encadrer dans une case, Or, je suis un arpenteur »12. Ainsi dans mon ouvrage, ‘La blessure du nom propre’, je me suis concentré sur la notion du corps ; c’est que le corps est matériel et il a des dimensions historique et symbolique…Ce que j’ai voulu étudier c’est la manière dont le corps est représenté dans la culture, je me suis intéressé au dessin de ce corps par le tatouage et aussi aux proverbes autant que langage corporel… Les travaux que je mène peuvent être quelquefois expérimentaux mais la plupart d’entre eux commencent par une sensation interne qui se transforme par la suite en idée ensuite en hypothèse et enfin elle devient construite et raffermie… J’ai toujours pensé au refoulé maghrébin et à la culture »13.
Récapitulons cette méthode : Sensation interne (intuition- déraison et irréel) ! Idée (vision non raffermie) ! Hypothèse (ce qui peut être conforme avec la raison et le réel) ! Raffermissement et construction (position de raisonnement conforme avec la raison et le réel).
Khatibi s’est appuyé sur l’observation composée et dialectique du réel et de l’être, afin d’obtenir l’homogénéité et la construction ; nous relevons dans ses propos : « ma manière de procéder – habituelle chez tout analyste – est d’observer en s’observant. J’avance vers les choses, vers les questions d’abord par intuition (je ne barre pas), puis, par tâtonnement, j’arpente le site de ma propre parole…On veut m’encadrer dans une case, Or, je suis un arpenteur »12. Ainsi dans mon ouvrage, ‘La blessure du nom propre’, je me suis concentré sur la notion du corps ; c’est que le corps est matériel et il a des dimensions historique et symbolique…Ce que j’ai voulu étudier c’est la manière dont le corps est représenté dans la culture, je me suis intéressé au dessin de ce corps par le tatouage et aussi aux proverbes autant que langage corporel… Les travaux que je mène peuvent être quelquefois expérimentaux mais la plupart d’entre eux commencent par une sensation interne qui se transforme par la suite en idée ensuite en hypothèse et enfin elle devient construite et raffermie… J’ai toujours pensé au refoulé maghrébin et à la culture »13.
Récapitulons cette méthode : Sensation interne (intuition- déraison et irréel) ! Idée (vision non raffermie) ! Hypothèse (ce qui peut être conforme avec la raison et le réel) ! Raffermissement et construction (position de raisonnement conforme avec la raison et le réel).
Œuvres et domaines de recherche abordés par Khatibi
Prenons la question du Maghreb, en 1969, je publiai un livre sur le roman maghrébin ; en 1984, un essai réunissant des articles et des études écrits entre 71 et 82. J’avais également présidé en 1977 à la publication d’un numéro spécial des Temps Modernes : « Du Maghreb », avec la participation des chercheurs marocains, algériens et tunisiens. Dans Maghreb pluriel, il y a un engagement théorique radical…
Passons maintenant à mon ouvrage littéraire : La mémoire tatouée. À sa manière, ce livre est un bilan et un programme. Un passage de la colonisation à la décolonisation.
Autour des années 70, je menais une double activité, celle du sociologue et l’autre. Dans ce sens, j’ouvrais une porte théorique sur la culture populaire dans mon essai La blessure du nom propre. Je pense que ce livre a eu de l’influence.
Par la suite, j’ai poursuivi mon travail essentiellement littéraire : récits, poésie, théâtre, tout en continuant à publier d’autres essais. Par exemple celui sur la calligraphie, autre mode de visualiser l’image. Par exemple aussi mon approche de la sexualité dans le Coran.
Depuis 1973, je me suis attaqué à un grand problème politique de notre époque, le conflit entre le sionisme et le nationalisme palestinien et arabe.
Entre Vomito Blanco (sur la conscience malheureuse) et ma correspondance avec Jacques Hassoun, je suis passé de l’analyse polémique à un essai de dialogue sur la violence archaïque qui noue ce problème à la détresse.
Par ailleurs, en plus de quelques articles, j’ai réalisé un travail intitulé Gravures d’un exil, avec la poésie de Mahmoud Darwich et les oeuvres de Rachid Koraïchi. Ce travail est encore inédit.
« Figures de l’étranger » tient une place particulière dans mon itinéraire. Il s’agit de mon rapport critique à la France, à la francophonie. N’est-ce pas aussi de la politique culturelle ? Chacun de mes livres a sa portée dans ce sens.
Je suis un chercheur qui explore différentes perspectives, différents points de vue sur des thèmes, des questions, des choses, qui me mettent en jeu.
Mon dernier livre Par-dessus l’épaule s’attaque aux relations amoureuses14.
En résumé, sa pensée se distingue par :
La révision de beaucoup de relations : en premier la relation au corps afin qu’il ne soit pas simplement à l’origine du péché et du mal et pour qu’il redevienne une force de créativité et un déversement de désirs. Deuxièmement la relation avec le sacré afin qu’il ne soit pas un objet transcendantal, mais pour qu’il se reflète dans l’architecture, les arts, et l’expérience soufis où l’invisible se reproduit dans le visible. En dernier, la relation à la langue pour qu’elle ne soit pas une identité sauvage mais au contraire qu’elle puisse être vécue dans une expérience plurielle en tant que champ pour un acte de différenciation où les langues interfèrent et chacune d’elles interpelle l’autre en la conservant au dehors15.
On peut ajouter à ces trois tendances (corps, sacré et langue) d’autres positions qui compléteront le parcours de Khatibi, et cela à partir d’une observation sur la situation au Maghreb et sur les difficultés rencontrées, identifiées ainsi : « la faiblesse de la société civile ; la nature rigide du pouvoir ; le manque de savoir-faire technique ; le poids théocratique, qui empêche la distinction entre l’État et la religion ; la faiblesse de l’image que le Maghrébin a de lui-même. »16
Enfin, on constate la diversité des préoccupations de Khatibi ; même s’il a donné la priorité à certaines études, cela ne veut pas dire qu’il avait une vision étriquée, mais au contraire il portait un projet bien structuré quoique resté inachevé. Il ne faut pas oublier qu’il nous a laissé un nombre considérable d’études sérieuses qui nécessitent une lecture et une étude afin de dévoiler les secrets de notre civilisation pour davantage de création ; tout en imitant Khatibi lui-même affirmant : « j’ai commencé ma vie culturelle par l’écriture créative car l’écriture c’est tout ce qui reste. »17
Passons maintenant à mon ouvrage littéraire : La mémoire tatouée. À sa manière, ce livre est un bilan et un programme. Un passage de la colonisation à la décolonisation.
Autour des années 70, je menais une double activité, celle du sociologue et l’autre. Dans ce sens, j’ouvrais une porte théorique sur la culture populaire dans mon essai La blessure du nom propre. Je pense que ce livre a eu de l’influence.
Par la suite, j’ai poursuivi mon travail essentiellement littéraire : récits, poésie, théâtre, tout en continuant à publier d’autres essais. Par exemple celui sur la calligraphie, autre mode de visualiser l’image. Par exemple aussi mon approche de la sexualité dans le Coran.
Depuis 1973, je me suis attaqué à un grand problème politique de notre époque, le conflit entre le sionisme et le nationalisme palestinien et arabe.
Entre Vomito Blanco (sur la conscience malheureuse) et ma correspondance avec Jacques Hassoun, je suis passé de l’analyse polémique à un essai de dialogue sur la violence archaïque qui noue ce problème à la détresse.
Par ailleurs, en plus de quelques articles, j’ai réalisé un travail intitulé Gravures d’un exil, avec la poésie de Mahmoud Darwich et les oeuvres de Rachid Koraïchi. Ce travail est encore inédit.
« Figures de l’étranger » tient une place particulière dans mon itinéraire. Il s’agit de mon rapport critique à la France, à la francophonie. N’est-ce pas aussi de la politique culturelle ? Chacun de mes livres a sa portée dans ce sens.
Je suis un chercheur qui explore différentes perspectives, différents points de vue sur des thèmes, des questions, des choses, qui me mettent en jeu.
Mon dernier livre Par-dessus l’épaule s’attaque aux relations amoureuses14.
En résumé, sa pensée se distingue par :
La révision de beaucoup de relations : en premier la relation au corps afin qu’il ne soit pas simplement à l’origine du péché et du mal et pour qu’il redevienne une force de créativité et un déversement de désirs. Deuxièmement la relation avec le sacré afin qu’il ne soit pas un objet transcendantal, mais pour qu’il se reflète dans l’architecture, les arts, et l’expérience soufis où l’invisible se reproduit dans le visible. En dernier, la relation à la langue pour qu’elle ne soit pas une identité sauvage mais au contraire qu’elle puisse être vécue dans une expérience plurielle en tant que champ pour un acte de différenciation où les langues interfèrent et chacune d’elles interpelle l’autre en la conservant au dehors15.
On peut ajouter à ces trois tendances (corps, sacré et langue) d’autres positions qui compléteront le parcours de Khatibi, et cela à partir d’une observation sur la situation au Maghreb et sur les difficultés rencontrées, identifiées ainsi : « la faiblesse de la société civile ; la nature rigide du pouvoir ; le manque de savoir-faire technique ; le poids théocratique, qui empêche la distinction entre l’État et la religion ; la faiblesse de l’image que le Maghrébin a de lui-même. »16
Enfin, on constate la diversité des préoccupations de Khatibi ; même s’il a donné la priorité à certaines études, cela ne veut pas dire qu’il avait une vision étriquée, mais au contraire il portait un projet bien structuré quoique resté inachevé. Il ne faut pas oublier qu’il nous a laissé un nombre considérable d’études sérieuses qui nécessitent une lecture et une étude afin de dévoiler les secrets de notre civilisation pour davantage de création ; tout en imitant Khatibi lui-même affirmant : « j’ai commencé ma vie culturelle par l’écriture créative car l’écriture c’est tout ce qui reste. »17
Informations concernant Khatibi
Postes et fonctions :
- Enseignant universitaire, à la Faculté des sciences humaines, à l’Université de Mohamed V de Rabat.
- Directeur de l’ex-Institut de sociologie de Rabat.
- Membre de la Société marocaine des éditeurs réunis depuis 1976.
- Rédacteur en chef du Bulletin d’information économique et social du Maroc
- Directeur de la revue Signes du présent.
Prix reçus
Le regretté a été récompensé de plusieurs prix parmi lesquels :
- Le prix littéraire de la seconde édition du Festival de Lazio d’Europe et de la Méditerranée.
- Le prix du « Grand printemps » de l’association française « hommes de lettres ».
Bibliographie sélective
La mémoire tatouée (Denoel, Lettres Nouvelles, 1971)
Écrivains marocains du Protectorat à 1965 (Sinbad, 1974)
La blessure du nom propre (Denoël, Lettres Nouvelles, 1974)
L’Art calligraphique arabe (Chêne, 1976) écrit avec Sijelmassi
Le Prophète voilé (L’Harmattan, 1979)
Le roman maghrébin (SMER, Rabat, 1979).
Maghreb pluriel (Denoël, 1983)
Penser le Maghreb (Flammarion, 1990)
Du signe à l’image, le Tapis marocain (Casablanca, 1995)
Civilisation marocaine, Ouvrage collectif/ sous co-direction avec Mohamed
Sijelmani. (Casablanca, 1996)
Le corps oriental (Ed: Fernand Hazan, 2002)
Romans et récits (Ed: La Différence, 2008)
En 2008, les éditions La Différence en France ont réédité la plupart de ses œuvres dans une édition quasi complète en trois grands volumes intitulés : Œuvres d’Abdelkébir Khatibi. Le 1er Tome traite des romans et récits, mais on y retrouve aussi un texte de Jaques Derrida. Le 2e Tome aborde les questions relatives à la poésie de l’aimance avec un texte de Marc Gontard. Enfin le 3e Tome reprend les essais de Khatibi accompagnés d’un texte de Roland Barthes.
Écrivains marocains du Protectorat à 1965 (Sinbad, 1974)
La blessure du nom propre (Denoël, Lettres Nouvelles, 1974)
L’Art calligraphique arabe (Chêne, 1976) écrit avec Sijelmassi
Le Prophète voilé (L’Harmattan, 1979)
Le roman maghrébin (SMER, Rabat, 1979).
Maghreb pluriel (Denoël, 1983)
Penser le Maghreb (Flammarion, 1990)
Du signe à l’image, le Tapis marocain (Casablanca, 1995)
Civilisation marocaine, Ouvrage collectif/ sous co-direction avec Mohamed
Sijelmani. (Casablanca, 1996)
Le corps oriental (Ed: Fernand Hazan, 2002)
Romans et récits (Ed: La Différence, 2008)
En 2008, les éditions La Différence en France ont réédité la plupart de ses œuvres dans une édition quasi complète en trois grands volumes intitulés : Œuvres d’Abdelkébir Khatibi. Le 1er Tome traite des romans et récits, mais on y retrouve aussi un texte de Jaques Derrida. Le 2e Tome aborde les questions relatives à la poésie de l’aimance avec un texte de Marc Gontard. Enfin le 3e Tome reprend les essais de Khatibi accompagnés d’un texte de Roland Barthes.
Notes
1 Khatibi, 1993, Penser le Maghreb, Société Marocaine des Éditeurs Réunis/Rabat, p 70.
2 Ibid, pp 71, 72.
3 Entretien fait par Ahmed Abtatou avec Khatibi. Al-Zaman N° 3253 28 mars 2009.
4 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit,pp 3,4.
5 Ibid, pp 71,72.
6 Hassan Wahbi, Les mots du monde, Khatibi et le récit. Publication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines/Agadir (série : thèses et mémoires N°3), pp 20, 21.
7 Abd Assalam Ben Abdel El-Alî, Al-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
8 Entretien fait par Hamid Abtatou avec Khatibi intitulé : Al-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
9 Civilisations marocaines, Sous la direction de Mohamed Sijelmassi, Abdlekebir Khatibi, El-Houssain El-Moujahid- Edition Oum/Actes Sud/Sindbad, p 10.
10 Wahbi, Les mots du monde, Op.cit, pp 20, 21.
11 Mohamed Benis, Critique de notre culture traditionnelle et de la culture européenne apologétique El-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
12 Khatibi, Penser le Maghreb, Op.cit, pp 70, 72.
13 Entretien de Hamid Abtatou avec Khatibi.
14 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit, pp 71, 72.
15 Abd Assalam Ben Abdel El- Alî, Op.cit.
16 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit, p 4.
17 Ibid, pp 71, 72.
2 Ibid, pp 71, 72.
3 Entretien fait par Ahmed Abtatou avec Khatibi. Al-Zaman N° 3253 28 mars 2009.
4 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit,pp 3,4.
5 Ibid, pp 71,72.
6 Hassan Wahbi, Les mots du monde, Khatibi et le récit. Publication de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines/Agadir (série : thèses et mémoires N°3), pp 20, 21.
7 Abd Assalam Ben Abdel El-Alî, Al-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
8 Entretien fait par Hamid Abtatou avec Khatibi intitulé : Al-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
9 Civilisations marocaines, Sous la direction de Mohamed Sijelmassi, Abdlekebir Khatibi, El-Houssain El-Moujahid- Edition Oum/Actes Sud/Sindbad, p 10.
10 Wahbi, Les mots du monde, Op.cit, pp 20, 21.
11 Mohamed Benis, Critique de notre culture traditionnelle et de la culture européenne apologétique El-Zaman N° 3253, 28 mars 2009.
12 Khatibi, Penser le Maghreb, Op.cit, pp 70, 72.
13 Entretien de Hamid Abtatou avec Khatibi.
14 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit, pp 71, 72.
15 Abd Assalam Ben Abdel El- Alî, Op.cit.
16 Khatibi, Penser le Maghreb. Op.cit, p 4.
17 Ibid, pp 71, 72.
Auteur
Mohamed HIRRECHE BAGHDAD
Mohamed Kamel ABD-LILLAH
Mohamed Kamel ABD-LILLAH
Pagination
Pages 15-16