Espaces, culture matérielle et identités en Sénégambie
par Ibrahima Thiaw (dir.)
CODESRIA, Dakar, 2010, 96 p.
CODESRIA, Dakar, 2010, 96 p.
Mû par la passion d’un groupe de chercheurs qui s’intéressent autant à l’archéologie qu’aux sciences humaines, cet ouvrage revient en partie sur les termes des connaissances reçues et dénoue les méthodes pratiquées par les scientifiques de la période coloniale. Avec en toile de fond la douloureuse et omniprésente question de l’esclavage, c’est à l’évidence tout une autre vision de la société qui est annoncée pour en relever l’objectif : celui de devoir réexaminer la production historique, ethnographique et anthropologique. Il s’agit en outre d’en évaluer les acquis et de problématiser les notions de frontières ethniques.
L’idée, majeure au départ, spécifie le principe de la diversité linguistique et de peuplement pour transcender une certaine représentation sommaire des tribus africaines vivant sur un même territoire. Aussi, et en dépit de leurs limites et imperfections et les difficultés de moyens au regard de l’importance de la tâche, quatre contributions de différentes disciplines ont uni leurs efforts pour nous faire part de quelques-uns de leurs résultats de recherche sur les peuples de la Sénégambie. Sur ce territoire sociologiquement recomposé indépendamment des tracés géographiques, différentes propositions de points de vue mettent en relation l’espace, l’identité et la culture matérielle. La poterie céramique rend compte de cette réalité comme expression vivante d’une pratique commune dont les nuances perceptibles en indiquent les subtilités distinctives.
Ibrahima Thiaw, qui poursuit des recherches archéologiques et historiques sur l’île de Gorée, présente une quintessence de l’évolution du savoir produit sur une période étendue pour en extraire quelques rudiments des logiques de son développement. Partant de l’ambiguïté quant à l’identification des identités sur la base des seules données archéologiques, il revient sur les sources acquises jusqu’alors afin de montrer le « décalage entre les discours historiques, qui prétendent être des connaissances véritables en dehors des relations de pouvoir et la culture matérielle ». Pour ce faire, outre l’examen des néanmoins célèbres Maisons des esclaves et le Castel de la citadelle hollandaise, il élargit son exploration aux lieux des laissés pour compte alors jamais considérés sous le prétexte fallacieux que « l’esclavage fut plus tolérant et plus humain en Afrique que dans le Nouveau Monde ». Au-delà des choses qui structurent concrètement l’espace vécu, ce sont les mots qui étayent l’analyse pour décrypter les associations de pouvoir et « les procédures complexes de négociation du global et du local ».
Et ce n’est pas sans un effort d’imagination que l’auteur a tenté une approche dans un passé du côté des asservis forcés à l’exil, la misère, la surexploitation. Il structure ainsi l’ébauche d’une expérience qu’il soumet à la réflexion pour mieux comprendre « ce monde marqué par des tensions identitaires, de classes et de rapports de force de toute sorte…»
Moustapha Sall approfondit sa recherche à partir des revendications identitaires joola en focalisant son étude sur la culture matérielle céramique et les identités en pays Fogny (Casamance - Gambie). Sur la base d’enquêtes ethnoarchéologiques, il se donne pour objectif d’analyser « les expressions matérielles des identités et de cerner leur évolution ». Son questionnement s’intéresse à la maîtrise du savoir sur l’histoire du peuplement et du processus d’occupation de cette région. L’auteur constate le peu d’investigations sur les données ethnoarchéologiques et leur méconnaissance pour justifier le choix de la zone d’étude et s’interroger sur les dynamiques et les traits culturels des anciennes populations. Il procède ainsi à l’observation comparative du processus des différents modes de fabrication des produits céramiques (chaîne opératoire, matières premières, façonnage, moulage, profilage, cuisson, décoration…). Les types de pots confectionnés renseignent sur l’origine des nombreux sites en milieu Fogny et les comportements sociotechniques, mais ne suffisent pas à expliquer l’établissement chronologique des peuplements. Des pistes de recherche sont proposées pour prolonger l’histoire des sociétés du Fogny et compléter les réponses encore pendantes sur les questions de culture matérielle liée aux rituels et aux anciens sites d’habitat.
Toujours dans le domaine de la poterie, Mandiomé Thiam introduit sa démarche en la rapportant à la question de l’identité des minorités bassari et bedik. Il argumente ce choix par l’explication de la question identitaire dont il emprunte une définition à Alberto Mucchielli (1994) selon laquelle « elle génère un sentiment interne d’unité, de cohérence, d’appartenance, de valeur, d’autonomie et de confiance organisée autour d’une volonté d’existence ». Agrémentée de photos concernant la chaîne opératoire céramique, la production coutumière donne à voir les multiples destinations d’usage des jarres, pots, marmites, bols et autres récipients pour différents modes de cuisson et de stockage. Une présentation comparative sur les aspects similaires d’une part et discriminants d’autre part, permet de retenir que l’activité est essentiellement féminine et que ces derniers, « si minimes soient-ils rendent compte des éléments d’identification de chaque groupe ». Il est néanmoins conclu de continuer une lecture ethnique plus pointue combinée à d’autres données socioculturelles pour mieux cerner la question identitaire d’un si vaste territoire.
Maurice Ndeye, physicien de formation, apporte sa contribution à travers l’archéologie en annonçant une relation sans à priori de cette discipline avec le monde de la culture. Il propose, en effet, l’étude du rapport entre la « chronologie absolue et l’ethnogenèse » en s’appuyant sur la méthode de datation par le carbone 14. Il attire cependant l’attention sur les difficultés et controverses entre l’approche scientifique fiable de cette méthode physico-chimique et les faits historiques des identités culturelles à déterminer. Après avoir présenté les types de problèmes liés à cette méthode, l’auteur développe un regard
critique sur son utilisation pour l’interprétation archéologique. Quelques études antérieures (B. Chavannes : 1977 ; G. Thilmans, A. Ravisé : 1980) illustrent la démonstration pour expliquer la nature des erreurs et les imperfections accumulées et prétendre à la fiabilité scientifique. « La datation par le radiocarbone peut ne pas donner une précision suffisante pour corréler un événement d’âge inconnu à un événement historique ». De même, la corrélation avec un événement humain doit tenir compte de plusieurs facteurs environnementaux pour pouvoir établir une lecture précise des faits. Au-delà des exploits technologiques et des performances méthodologiques dans la chronologie des occurrences historiques, il y a lieu de délimiter les responsabilités de chaque discipline impliquée dans une approche commune de compréhension des faits sociaux.
En plus de l’abondante bibliographie que ce petit ouvrage nous offre, il représente une image hautement scientifique des approches telles que méthodologiquement suivies par quatre chercheurs africains réunis en Groupe National de Travail (GNT). Les recherches abordées où pour la plupart, la poterie est un objet commun relativement accessible de la vie quotidienne, ont trouvé là une manière opérante pour valoriser leurs conclusions associant les questions de l’espace, la culture matérielle et l’identité. Assurément, des enseignements peuvent en être tirés notamment pour ce qui concerne la longue durée et l’exploration approfondie des sujets à étudier, comme garantes de compétence en la matière.
Auteur
Ammara BEKKOUCHE
Pagination
Pages 19