Genre et sport en Afrique entre pratiques et politiques publiques
par Monia Lachheb (dir.)
CODESRIA, Dakar, 2010, 95 p., ISBN : 978-2-86978-320-1
CODESRIA, Dakar, 2010, 95 p., ISBN : 978-2-86978-320-1
Les disparités entre les hommes et les femmes sont présentes dans tous les domaines y compris celui du sport qui reste, dans une vision largement répandue, une citadelle masculine.
Les premiers travaux sur l’histoire du genre dans le domaine du sport sont apparus aux États Unis et au Canada. Les débats sur cette question étaient moins importants avant les années 1990, et ce n’est qu’à partir de cette date que les premiers écrits sur le genre apparaissent et que les relations asymétriques entre les hommes et les femmes sont évoquées. Ce volume est constitué des communications présentées au symposium « Sport et genre dans le développement en Afrique », tenu au Caire du 23 au 25 novembre 2009. Il est intéressant de montrer que l’apparition de cet ouvrage coïncide avec l’organisation de la coupe du monde pour la première fois dans le continent africain où la visibilité des femmes dans le domaine du sport est devenue un phénomène de société.
Cette publication traite de la problématique du genre qui est considérée comme une préoccupation prioritaire au CODESRIA. Il vise à analyser les rapports sociaux de sexe dans le sport, d’y déterminer la place des femmes et de cerner ce qui peut entraver la réalisation de l’égalité entre les deux sexes dans différentes sociétés africaines. Les diverses contributions rendent bien compte de la complexité des situations et de la variété des approches dans la gestion des politiques du sport en Afrique.
Sur le Maroc, trois contributions ont évoqué la question du genre en mettant l’accent sur l’inégalité entre les deux sexes qui existe aussi bien dans la pratique du sport que dans l’accès aux responsabilités sportives. Cette inégalité, qui s’ajoute au retard d’intégration de la femme marocaine au sport, s’explique par le conservatisme qui caractérise la société marocaine, par le manque d’une vision féminine dans les médias et par l’écart dans le ratio comparé aux hommes dans tous les domaines (analphabétisme, mortalité, activité économique, chômage, pauvreté, postes de haute responsabilité…). Seules les activités traditionnelles lui sont facilement attribuées (famille, enseignement scolaire, santé...). En revanche, les femmes originaires des classes moyenne ou riche, citadines, et d’un certain niveau culturel peuvent avoir la chance d’accéder à la pratique sportive.
Le Maroc étant conscient de la gravité de cette situation, comme le montre l’étude de Brahim Elmorchid, a agi pour le changement au niveau politique, un changement qui se traduit par l’intégration des femmes dans le développement afin d’asseoir une citoyenneté fondée sur l’équité et l’égalité entre les sexes. En 2007, tous les départements ministériels ont été appelés à intégrer la dimension genre dans leurs politiques de développement et leurs programmes de budgétisation, et cela n’est pas sans conséquences positives pour les femmes, en particulier en ce qui concerne leur présence dans le domaine du sport.
Plusieurs organisations ont imposé la pratique du sport en égalité avec les garçons dans les écoles et les lycées. « L’éducation physique et sportive a valorisé la fille. Elle lui a permis de s’exprimer et de découvrir la joie des pratiques sportives » (p.13). Le Comité National Olympique Marocain (CNOM) a créé la commission féminine « femme et sport » qui œuvre à garantir aux femmes l’égalité avec les hommes et la participation dans toutes les activités sportives comme dans la gestion. Ceci se rajoute au programme «sport pour tous» qui considère le sport comme un droit humain.
Le sport pratiqué par les femmes n’est pas celui pratiqué par les hommes, car chacun a sa propre dynamique, ces derniers favorisant les sports durs et agressifs, les femmes préférant les sports plein d’agilité. C’est une conquête par laquelle les femmes marocaines ont participé au développement d’un processus. Ce qui confirme la théorie de la « différence féminine » laquelle doit être reconnue par la société dans tous les domaines, notamment celui du sport parce que la reconnaissance sociale de cette différence est « le fruit d’une lutte au niveau publique » (p. 28).
Il importe aussi de remarquer que le sport féminin a joué un rôle important pour le développement socialement durable. La variable genre introduite dans le sport a permis de réaliser l’équation du sport et du développement. L’intérêt de l’approche « genre et développement » est de créer un équilibre dans les rapports de pouvoir entre, les deux sexes et pas uniquement à résoudre les problèmes liés aux inégalités entre les sexes. Cette approche tient compte de la répartition des rôles des hommes et des femmes. Cependant, cette intégration demeure marginale et insuffisante.
La femme marocaine est sortie de son foyer à la fois par obligation économique, mais aussi par volonté d’égalité, de liberté et de justice. Elle voulait s’imposer dans le domaine du sport pour affirmer son existence et sa participation au développement du pays. Mais l’histoire récente ne compte que quelques noms qui ont su s’imposer au niveau régional et même international. Cette faiblesse reflète l’échec partiel de la politique sportive national. Le sport est un domaine favorable à l’intégration des femmes dans le processus du développement humain. En pratiquant le sport, elle trouve son bien-être, son épanouissement, son émancipation.
Malgré les discriminations et les inégalités, le sport des femmes maghrébines, en particulier marocaines, a connu une évolution remarquable lors de ces dernières décennies. Toutefois, le pourcentage de leur présence reste faible. Nawal Almotawakil est la seule femme qui a pu avoir des postes de haut niveau et obtenir une médaille d’or olympique.
Le sport féminin nécessite encore des résultats satisfaisants dans la pratique et la gestion. « Il est donc nécessaire de bien conduire une politique sportive volontariste donnant à la femme la place qu’elle mérite légitimement » (p. 22).
En Tunisie, la question du genre pose un problème dans le domaine du pouvoir. En effet, l’effectif des femmes membres dans la fédération sportive olympique en Tunisie marque une inégalité remarquable entre les deux sexes, cela s’illustre par seulement vingt-quatre dirigeantes face à deux cent cinquante-six membres fédéraux. Une enquête menée sur le leadership sportif montre à quel point les inégalités dans l’exercice de la prise de décision dans les organisations sportives tunisiennes sont flagrantes entre les deux sexes. Dans les discours des enquêtées, un témoignage explique et résume peut-être mieux cette disparité entre les hommes et les femmes : « nous sommes encore dans une société d’hommes faite par les hommes et pour les hommes » (p.69).
Au Cameroun, société patriarcale, le sport est réservé aux hommes. La femme camerounaise n’est considérée comme ayant un statut important qu’au foyer. Par contre, la pratiquante du sport est considérée comme une « femme facile », qui ne répond pas aux normes de la société, laquelle refuse la pratique féminine du sport considérée comme une exposition du corps. Selon cette étude, la société considère que la femme cherche par la pratique du sport la forme physique pour rester jeune et belle pour elle-même, et pour satisfaire le désir sexuel de l’homme. Les tâches que la société réserve à la fille durant toute son éducation sont celles assurées par l’épouse, la mère, et ce dans le cadre du travail domestique. Cela entrave la participation de la femme camerounaise dans la pratique du sport et plus particulièrement le sport-loisir qui est une pratique mal appréciée. Malgré les difficultés, elle a pu obtenir une place dans les compétitions nationales et internationales. Mais sa conquête est inachevée puisqu’elle se trouve dans une société à dominante traditionnelle.
Le dernier article traite d’une question d’une extrême sensibilité, celle de la violence symbolique faite aux femmes, au Sénégal puisqu’elles ont pénétré un territoire accaparé par l’homme. Cette contribution s’inscrit dans une perspective bourdieusienne considérant la violence symbolique comme étant la « violence qui extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en s’appuyant sur des “attentes collectives”, des croyances socialement inculquées » (Bourdieu, Raisons pratiques, 1994, p. 188).
La femme sénégalaise a intériorisé dès son enfance qu’elle n’est pas faite pour le sport à cause des obligations ménagères auxquelles elle serait destinée. Ce qui semble être encouragé par les règles appliquées pour elle à l’école et au lycée, comme à titre d’exemple, la mauvaise note obtenue dans la matière du sport. De plus, elle se trouve dans une société où l’islam est dominant, ce qui exige un certain code vestimentaire alors que le sport est rétif au voile. Autre obligation pour la femme sénégalaise qui pratique le sport, les tests médicaux qu’on lui fait suivre pour déterminer le sexe féminin (l’hermaphrodisme). Cela constitue un handicap pour l’intégration de la femme au sport.
Le sport de haut niveau est une entrave au mariage pour la femme sénégalaise. A vrai dire, dès sa naissance, elle est préparée par un massage spécifique qui est censé lui attribuer « quatre fois trois qualités nécessaires pour faire d’elle un objet de plaisir sensuel et désirable, la femme doit avoir trois rondeurs, trois blancheurs, trois longueurs, trois noirceurs pour devenir attirante et faciliter son entrée en union » (p. 90), tandis que la pratique du sport efface tous ces critères esthétiques, et pousse au célibat prolongé de la pratiquante du sport. La femme sénégalaise est ainsi contrainte de remplir les tâches qu’on lui attribue et de respecter la hiérarchie dans la société.
En somme, cet ouvrage répond à des questions pertinentes qui ont trait au rapport genre et sport qui méritent d’être approfondies davantage pour comprendre pourquoi les sociétés africaines sont toujours dans cette structure de domination. Comme le montre la coordinatrice de cet ouvrage, non sans raison, les réflexions des contributeurs « constituent autant de pistes de recherche qui invitent à considérer la complexité du fait sportif et l’importance des éclairages qu’il apporte sur les rapports de genre en vigueur dans les sociétés africaines » (p. 4).
Auteur
Sara HEDIA
Pagination
Pages 18