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Les Rapports De Genre, Enjeux Des Transformations Socioéconomiques Et Politiques En Afrique

Genre et dynamiques socio-économiques et politiques en Afrique
(Sous la direction de)
Fatou Sow et Ndèye Sokhna Guèye. Dakar, CODESRIA, 2011, 150 p.
ISBN : 978-2-86978-297-6
 
L’ouvrage est une compilation d’articles issus des communications présentées lors du premier symposium intitulé « Recherche sur le genre en Afrique au nouveau millénaire : perspectives, directions et défis » organisé par le CODESRIA en 2002 au Caire (Égypte) en collaboration avec Afro-Arab Research Center. Cette rencontre a réuni des chercheurs des différents pays du continent africain avec l’objectif de dresser un état des lieux de la recherche sur le genre en Afrique et d’inaugurer de nouvelles pistes de recherches pour le XXIème siècle. Les questions traitées sur le genre s’articulent autour des transformations sociales en Afrique. Elles marquent une diversité des points de vue des féministes et des thématiques traitant d’aspects, tels que l’eurocentrisme, les cultures africaines, les réalités postcoloniales, les épistémologies et les défis qui se posent à la recherche dans le continent. Les idées développées se situent face aux universalismes et aux particularismes des études occidentales portant sur les mêmes sujets du féminisme et du genre. Elles soulèvent des questionnements sur l’approche genre en liaison non seulement avec les paramètres socioculturels et économiques internes des sociétés africaines, mais aussi en liaison avec les paramètres inhérents à des décennies voire des siècles de domination, d’échange inégal et d’hégémonisme du monde occidental.
 
Les deux premiers textes de Fatou Sow et Sokhna Gueye traitent de la question de la globalisation et de ses impacts sur les rapports hommes femmes. Les deux auteurs considèrent que la mondialisation a soumis les femmes « à une double exploitation : le capitalisme et le patriarcat »[i]. Fatou Sow analyse les liens entre la globalisation en Afrique, les femmes, l’État et le marché. Elle s’intéresse à la nature de l’État comme traduction de rôle sexué et ses rapports aux citoyens d’où son expression « le sexe de l’État ». La nature sexuée de l’État se révèle à travers ses différentes actions qui reproduisent ou confortent l’assujettissement des femmes. L’auteur cite l’exemple du statut personnel qui continue d’être inspiré pour certains pays d’Afrique de la charia malgré l’existence d’un système juridique laïc. Elle précise que les politiques publiques ne remettent pas fondamentalement en cause les sources culturelles et religieuses qui continuent à perpétuer la marginalisation des femmes. Or, l’État est appelé à assurer des transformations profondes conformes aux normes universelles de la citoyenneté.
 
Sokhna Gueye, pour sa part, traite des effets de la mondialisation sur l’artisanat féminin en se basant sur l’exemple de la production de la céramique dans la moyenne vallée du fleuve du Sénégal. Elle situe le processus historique de cette activité en interaction avec le marché extérieur européen du XIVème siècle jusqu’au XIXème siècle avec la colonisation du Sénégal. Elle met en exergue les péripéties du travail des artisanes dans un contexte de mondialisation marqué par des rapports marchands inégaux et une concurrence qui a mis à rude épreuve leur production face à la production étrangère. Cette situation n’a pas réellement changé durant la période post indépendance avec l’application du Programme d’ajustement structurel (PAS). Dans ce contexte, les politiques foncières de l’État Sénégalais ont privé les femmes potières de leurs sources de matières premières dont l’argile. Elle démontre comment les artisanes ont pu améliorer leurs produits en modernisant la qualité esthétique de la poterie et souligne l’achat par les populations rurales de la poterie locale au détriment des produits importés. L’auteur conclut en précisant les capacités des femmes africaines à s’adapter aux exigences technologiques et à chercher les meilleures issues pour juguler les effets négatifs de la mondialisation.
 
Sur le registre du vécu des femmes à travers l’emprise de la société patriarcale, du droit, de la religion et de la politique, Naffet Keita traite de la construction des lieux de légitimation de la domination et de l’inégalité des sexes au niveau des sociétés bambara, songhay et touarègues. Il analyse les mécanismes de représentations qui sont à la base de l’asservissement des femmes. Trois lieux communs d’exercice de la domination masculine sont désignés. Le premier : le sexe et le contrôle social du corps des femmes à travers des pratiques socioculturelles liées à l’excision et la reproduction. Le deuxième : la polygamie dans les sociétés songhaï et bambara. Les sociétés touarègues, monogames et endogames mettent l’accent sur le rôle reproducteur. En troisième lieu : la hiérarchie des sexes et la division sexuelle du travail. Les femmes assurent des productions vivrières qui leur permettent de disposer de revenus suffisants pour assumer leurs rôles de chefs de familles sans que cela ne contribue à leur affranchissement. L’auteur pose la problématique de la reconnaissance des tâches domestiques comme activités productives, générées par des millions de femmes Africaines, dont la contribution à l’économie demeure non encore reconnue.
 
Penda Mbow, dans sa contribution intitulée : « Droits humains et religions : autour de la problématique femme et islam », examine une question relative à la construction et la définition du statut des femmes et des hommes, en l’occurrence la religion. Elle s’appuie sur les exemples de la Nigériane Safiya Husaini, condamnée à la lapidation pour délit d’adultère et sur la situation des femmes Afghanes sous le pouvoir des Talibans. L’auteur s’interroge sur la conception islamique de ces droits. Elle propose une lecture féministe de l’islam et estime que la réflexion sur les droits humains nécessite la définition du lien entre le sacré et la quête de la liberté chez l’individu. Différents auteurs ont traité cette question qui demeure un défi face au discours fondamentaliste. A ce titre, Fatima Mernissi[ii] et Riffat Hassan[iii] ont entamé une réflexion sur la base d’une lecture plus ouverte du Coran. Penda Mbow affirme qu’une réinterprétation des lois islamiques permettrait d’avancer vers une égalité des statuts hommes/femmes. Néanmoins, ces approches interviennent dans un monde musulman encore dominé par le système patriarcal qui favorise la subordination à travers le contrôle social sur les femmes, l’obligation du port du voile ou de la burqah, les mariages forcés, la prééminence masculine, la polygamie, la répudiation, la tutelle matrimoniale et l’inégalité dans l’héritage. Elle considère que ces règles assignées aux femmes renvoient plus à une ségrégation de genre et à une construction sociale des sociétés préislamiques et aux traditions tribales patrilinéaires, qu’à une référence coranique. Elle propose pour libérer la femme de l’emprise du conservatisme, d’aller au-delà de l’interprétation féministe et d’explorer les possibilités qu’offre le terrain des droits humains en islam afin de « renouveler les théories féministes et d’élargir la base de réflexion »[iv]. Parlant du combat des femmes de son pays, le Sénégal, elle réaffirme « qu’il y’a lieu de mener une bagarre jusqu’à l’épuisement »[v]. De fait, elle conjugue réflexion théorique et implication effective des femmes sur le terrain des luttes pour l’égalité.
Pratique politique et rapports de pouvoirs
Sur une autre thématique liée à la pratique politique, comme lieu de rapports de pouvoirs et de domination des femmes, Malika Benradi et Houria Alami analysent cette question à la lumière de la vie politique marocaine. Elles montrent à partir d’une enquête, la vision des citoyens et citoyennes à l’égard du politique et de la place qui est dévolue aux femmes. Tout en soulignant l’implication de plus en plus importante de celles-ci dans la pratique politique à l’instar de l’accès à des postes à haute valeur symbolique tels que celui de ministre, elles constatent néanmoins que cette prise de hautes fonctions demeure confinée aux secteurs de la santé et de l’éducation. L’exercice de ces fonctions traduit et nourrit les stéréotypes liées aux rôles des femmes dans l’espace domestique. Cette dichotomie public/privé continue à structurer la participation politique des femmes. Cependant, les résultats de l’enquête démontrent que plus les femmes disposent d’un niveau élevé d’instruction et sont intégrées dans la sphère économique, plus grande est leur implication dans la vie politique. Mettant l’accent sur l’impact des transformations socioéconomiques et politiques de la société sur la participation des femmes dans la sphère politique, elles concluent qu’elles sont appelées à remodeler la structuration de l’espace politique et les exhortent à participer à la refondation de l’État afin de conquérir une citoyenneté effective
 
Le dernier article, celui de Maréma Touré intitulé « La recherche sur le genre en Afrique : quelques aspects épistémologiques et culturels » aborde le statut subalterne des femmes dans la société. L’analyse des relations de subordination des femmes à travers le concept genre a permis de statuer que les rapports inégaux entre les sexes sont le résultat d’un construit social et psychologique d’où la nécessité de leur remise en question. L’auteur relève que la décennie des Nations Unies pour la femme a contribué au développement de l’approche genre et son articulation à l’analyse des sociétés africaines. Elle souligne son appropriation par les chercheurs du continent pour décrypter les réalités des femmes opérant par là une rupture avec le monopole des chercheurs et féministes européens. Maréma Touré cite Oyèronké Oyèwùmi (1997, 2003, 2005), qui conteste l’étude des rapports entre les sexes à partir des principes culturels de l’Occident. Cette dernière réfute l’analyse des féministes occidentales qui considèrent les notions d’homme, de femme comme essentiellement biologiques et universelles alors qu’elles n’ont pas pour référence uniquement, les différences anatomiques dans les sociétés africaines. D’autres auteurs (Amandiume 1997 ; Kanji et Kamara, 2000) mettent l’accent sur la prégnance dans la culture africaine des catégories de « matriarcat, matrilocalité, de figure de la mère et le rôle de la procréation que les chercheures féministes occidentales n’ont pas prises en considération, d’où l’appel des chercheurs à la décolonisation des savoirs sur les réalités du continent. Cependant, d’autres auteurs africains comme Bakaré-Yusuf (2004) et Desiree-Lewis (2004) attirent l’attention sur cette réflexion ethnocentriste[vi]. Maréma Touré propose d’aller au-delà de ces controverses, en partant du consensus que les inégalités de genre sont partagées par toutes. Les réflexions sur les rapports de domination des hommes sur les femmes transcendent les clivages de sexe et interpellent les rapports de race et de classe[vii].
 
En conclusion, ces thématiques réinterrogent les fondements socioanthropologiques du système patriarcal et de la légitimation des discriminations sexuelles. Elles posent le renouvellement des analyses selon une globalisation plus poussée et réexaminent les questions du développement, de la démocratisation, du mode de gouvernance des sociétés en jonction avec la citoyenneté des femmes et la redevabilité de l’Etat[viii]. Ces thématiques s’accordent toutes pour souligner que les transformations des rapports de genre dans les sociétés africaines sont la résultante des dynamiques sociales.

notes

[i] Sow Fatou et Ndèye Sokhna Guèye : Genre et dynamiques socioéconomiques et politiques en Afrique, éd. Codesria 2011, p. XIII.
[ii] Mernissi, F., 1987, Le harem et le politique : le prophète et les femmes. Paris : Albin Michel.
[iii] Riffat Hassan, Ph.D, université deLouisville, Kentucky, the Qur’an and reproductive health of Women ; the Qur’an and sexuality ; the Qur’an and Care responsability, cité par P. Mbow , p. 76.
[iv] Op cit p XX.
[v] Op cit p. 87.
[vi] L’ouvrage : Genre et sociétés en Afrique: implications pour le développement sous la direction Thérèse Locoh éd : L’Ined 2008, 431p., critique cette attitude afrocentriste dans pp. 53-58.
[vii] L’approche de l’intersectionalité permet de combiner ces paramètres pour mieux comprendre et analyser ses rapports de domination.
[viii] De par son rôle l’Etat est redevable envers ces citoyennes, cf., Le concept de Redevabilité in L’UNIFEM : Qui est responsable envers les femmes : Genre et Redevabilité » le progrès des femmes dans le monde, Document 2008/ 2009 http://www.unifem.org/progress/2008/media/FRPoWW- ExecutiveSummary.pdf

Références

Locoh, Thérèse, 2008, Genre et sociétés en Afrique: implications pour le développement sous la direction, éd., l’Ined, 431 p.
Hurtig, M.C, Kail M. & Rouch H., 2002, De la hiérarchie entre les sexes, Paris, éditions du CNRS, 286 p.
Amartya, Sen, 2000, Repenser l’Inégalité, 288 p., Editions du Seuil.
Sirma, Bilge, Sirma, 2009, « Théorisations féministes de l’intersectionnalité », Diogène. Revue internationale
des sciences humaines. No. 225. janvier-mars 2009, pp. 158-176.

Auteur

Yamina RAHOU

Pagination

Pages  21-22

Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres

Volume 08 N° 02,​ Septembre 2012

CRASC

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