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Les Révolutions Arabes : Ecrire Des Processus Inachevés

Où va le Printemps arabe ? Nouvel horizon pour le changement démocratique[i]
Centre d’études de l’union arabe de Beyrouth, Collection ouvrages de
L’avenir arabe (63), Première édition, Beyrouth, Liban 2011,
ISBN 978- 9953-82-446-8, 351 pages, en langue arabe. Prix 12$

L’ouvrage collectif, Où va le Printemps arabe ? Nouvel horizon pour le changement démocratique, publié par Abelilah Belkeziz, est dédié aux soulèvements qui secouent depuis plus d’une année une grande partie du Monde Arabe. À vrai dire, cette région se trouve dès le déclenchement des protestations provoquées par l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid – Tunisie – en janvier 2011, au seuil d’une nouvelle ère baptisée (par la presse et les observateurs) « le Printemps arabe ». Les vents de cette longue saison printanière, doux et parfois violents, gagneront tour à tour l’Égypte, la Libye, le Yémen, la Syrie, le Bahreïn et continueront peut-être à souffler pour mettre les sociétés devant les défis du troisième millénaire.
 
Lorsqu’elles se déclenchent, les révolutions affectent par leur nature les différents champs de la vie quotidienne et deviennent dans ce sens un phénomène complexe. Pour l’appréhender sans occulter les éléments sous-jacents aux soulèvements, les auteurs ont structuré l’ouvrage autour de quatre grandes parties. La première traite de la relation révolution / démocratie. Les contributions regroupées dans cette partie (celle de T. Madini : « Printemps des révolutions démocratiques Arabes », de M. Dada: « Dynamique des masses Arabes : révolution ou fabrication d’une opportunité politique ? », de N. Laoufi « Le printemps démocratique arabe : l’exception confirme la règle » entre autres) témoignent du grand intérêt accordé à la question de la démocratie.  Loin de faire croire à un rapport linéaire entre révolution et démocratie, elles présentent des lectures, des analyses et plus encore des perspectives favorisant un vrai débat sur le devenir de la démocratie dans les sociétés arabes secouées par les révolutions.
 
Peut être l’une des caractéristiques importantes de ces soulèvements populaires est l’effet de surprise, aussi il semble logique que cet aspect appelé : « surprises révolutionnaires » trouve sa place dans la deuxième partie du moment que l’ouvrage envisage de donner plus d’informations et d’analyses sur l’événement qui préoccupe l’opinion arabe et internationale. Ce deuxième axe contient deux contributions : « Les mutations arabes et surprises de révolutions » présentée par Yousef Chouiri et la deuxième : «Pourquoi les soulèvements de Tunisie et d’Égypte nous ont « surpris » ? » de Jack Kabandji.
 
Quant à la troisième partie intitulée : « La Révolution dans son centre tunisien et égyptien : les antécédents, les situations actuelles, l’avenir », elle est composée d’approches issues de différents champs disciplinaires. En ce qui concerne le paramètre politique, nous pouvons citer le travail de Nadia Mahmoud Mostafa qui a suivi l’activité de la politique extérieure égyptienne pendant la Révolution, cela lui a permis de présenter une vue d’ensemble sur les réactions politiques affectées par la pression du contexte révolutionnaire. Du point de vue sociologique et socioculturel, le travail de Mahmoud E-Douadi : « les conditions de la réussite ou de l’échec de la révolution », et celui de Khaled Kazem AboDouh : « révolution égyptienne, essai d’analyse sociologique », viennent en fait pour enrichir le débat sur la question à partir de leurs champs disciplinaires.
 
Les travaux, intégrés dans la quatrième partie, traitent d’autres segments, notamment les résultats et les incidences des insurrections sur d’autres pays. Mohammed Ben Snitan, Ali Mohammed Fekhrou et Abderrahim El Attri proposent des analyses permettant d’identifier l’impact des révolutions sur l’Arabie Saoudite, le Bahreïn et sur les mouvements protestataires au Maroc.
 
Le slogan : « Game over »[ii] levé par les révoltés affiche, d’ores et déjà, la fin de l’époque : Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, Abdellah Salah, alors que les défis pour les intellectuels ne font que commencer. Décrire et analyser un événement historique sont deux entreprises relativement complexes, dans la mesure où, les analyses consacrées à ces événements sont censées, d’une manière ou d’une autre, prendre en ligne de compte plusieurs paramètres : économique, social, politique, culturel et médiatique. Les auteurs, qu’ils soient Arabes ou non, ont manifesté beaucoup d’intérêt aux événements. Certains d’entre eux, présents lors des soulèvements, ne manquent pas d’avancer des explications concernant les causes objectives de cette vague de protestations. Ils essaient de décrypter à chaud les éléments susceptibles d’expliquer le ras-le- bol et, par conséquent, l’explosion de la colère des populations. Ils se penchent sur la détérioration du pouvoir d’achat, le chômage des jeunes et le manque de liberté d’expression. Il reste à souligner que le débat sur le rôle des réseaux sociaux dans ces révolutions a occupé une place privilégiée, notamment facebook et sa capacité à véhiculer le contre-discours.
 
Les auteurs intéressés par l’écriture des révolutions proviennent d’horizons multiples et cela a permis de produire des analyses riches et variées mais, d’autre part, il importe de signaler les nuances dans ces écrits. En Tunisie par exemple, on a le sentiment que beaucoup de travaux critiques étaient déjà prêts, mais ils n’ont pas trouvé leurs places dans les bibliothèques tunisiennes à cause de la censure et du contrôle exercé sur les productions symboliques. Une grande partie des œuvres qui paraîtront juste après la chute du régime de Ben Ali sont plutôt des chroniques[iii] et généralement présentées dans un style journalistique[iv].
 
Ces travaux, même produits à chaud (quelques ouvrages sont déjà parus sur la Syrie alors que le soulèvement dans ce pays continue toujours[v]), sont le fait de premiers écrivants ne disposant pas d’assez de temps pour poser des questions qui permettraient d’aller en profondeur et de produire des analyses plus poussées. Toutefois, on ne peut en aucun cas nier l’intérêt de ces écrits. Ils serviront sans doute pendant longtemps de sources précieuses d’informations pour les chercheurs qui voudraient approfondir l’analyse des faits de la Révolution, ceux qui le feront à l’avenir profiteront certainement mieux du temps écoulé qui peut être bénéfique pour une analyse plus fouillée.
 
Il est quelques fois très difficile de trouver des réponses aux importantes questions formulées sur le devenir du Monde arabe en voie de changement. Cela explique peut-être la forme interrogative choisie pour l’ouvrage : Où va le Printemps arabe ? Certaines contributions parmi une vingtaine regroupées dans ce livre reconnaissent de manière explicite ou implicite qu’il serait très difficile d’analyser un phénomène en cours, et dont la fin est loin d’être connue. Mais si cette conviction semble être partagée, les auteurs ne se sont pas contentés de décrire les événements, mais de questionner la réalité sociale, politique et culturelle, en somme le contexte qui régnait lors des soulèvements. Quelle que soit l’appellation choisie (révolution, soulèvement, ou autre), c’est en tout cas, selon le sociologue tunisien Tahar Lebib, l’événement qui témoigne d’un retour glorieux des Arabes à l’histoire après une longue absence. Pendant longtemps, le désespoir s’était tellement emparé des esprits que le changement pouvait s’inscrire dans l’ordre de l’impossible. Mais c’est de l’impossible que le peuple a produit le possible et la Révolution, celle-ci étant toujours présente dans la réalité sans qu’on puisse la sentir. Une fois présente sur la scène, elle surprend non seulement les pouvoirs en place, mais aussi la connaissance en rupture avec la démocratie pendant de longues décennies. Elle permet enfin à tout le monde de constater que « le possible », c’est à dire la possibilité d’un soulèvement, était toujours présent. Le discours qui soutenait la thèse de « la sortie des Arabes de l’histoire » avait tellement capté les esprits qu’il était difficile de s’attendre à une révolution. Mais elle est là, parce que le pouvoir de répression n’a pas pu et ne pourra jamais paralyser la possibilité de la révolte.
 
Après avoir présenté sa vision sur la Révolution, Lebib revient, dans l’introduction de cet ouvrage, de manière plus détaillée sur le rapport du savoir avec une révolution en marche et dont la fin demeure inconnue. Pour lui, l’intellectuel, en essayant de penser et d’écrire la Révolution, se trouve face à un événement dont il n’a pas forcément les outils pour en avancer des explications scientifiques, mais seulement une opinion, de l’ordre de l’intuitif. Si l’opinion est permise pour tout le monde, l’analyse par contre est l’effort pour accéder à la connaissance et non pas le discours du sens commun.  Cependant, d’un autre point de vue développé par l’auteur, penser et écrire l’événement révolutionnaire mettent l’intellectuel face à son capital de connaissance, et c’est dans ces moments qu’il se rend compte du décalage entre ses concepts, ses théories, ses méthodes et ses approches, en somme tout ce qu’exige l’analyse scientifique et le sens du réel. Il saura que ce n’est pas ce qu’on appelait « acteurs » dans nos approches qui ont réactivé ce « possible », en fait, c’était des gens simples qui étaient dans nos études des êtres fantomatiques, ceux qui étaient là pour remplir nos tableaux statistiques. Il se rend compte aussi que la langue n’est pas seulement une grammaire et une conjugaison à mettre ensemble, mais un tissu de symboles. Si la Révolution est devenue une réalité, c’est parce qu’elle est une révolution de sens avant tout. Ceux qui ont lancé le slogan : « Le peuple veut renverser le régime », ne voyaient aucune dichotomie entre les mots du slogan, le sens approprié, et l’objectif à atteindre. C’est la spontanéité et la sincérité qui suppriment tout décalage entre ces niveaux et mènent les révoltés vers l’objectif suprême défini par le slogan unificateur.
Révolutions, convergences et divergences : effets de contextes
La lecture des quatre parties de l’ouvrage regroupant une vingtaine de contributions permet de ressortir les points communs et les différences à travers les expériences concernant les soulèvements survenus en Tunisie, Égypte, Libye, Bahreïn, les mouvements de protestations au Maroc, et sans oublier les contributions qui abordent les effets de cette vague de soulèvements sur les pays du Golfe. L’un des points communs soulevé par Nour Eddine Afaya portait sur l’émergence d’un imaginaire politique libéré des mythes du pouvoir, même si cet imaginaire n’est pas si loin de ses référents, notamment le système symbolique religieux au sens culturel du terme. Cet imaginaire politique émergent a réussi à imposer son discours dans les espaces de débats et d’action. En effet, pendant de longues décennies, le pouvoir en place était perçu comme étant le seul joueur sur la scène politique. Le monopole sur les médias lui permettait de diffuser sa version sans pour autant permettre la diffusion d’autres points de vue, notamment celles des opposants.
 
On peut remarquer d’autres rapprochements à faire entre l’ensemble des soulèvements signalés dans la contribution de Mohammed Dada : « Le mouvement des masses arabes : révolution ou fabrication d’une opportunité politique ? ». Selon l’auteur, l’aspiration au changement et la capacité de sa concrétisation dépendent de deux éléments. Le premier est objectif, il s’agit d’une maturation de la réalité sociopolitique à la limite de la crise, (il se rapproche de la vision marxiste qui rapporte la révolution aux contradictions dans l’infrastructure), tandis que le deuxième relève de la rupture communicationnelle entre le système politique et la société ainsi que la prise de conscience de la population de sa vraie valeur en tant que puissance qui peut influer sur la stabilité et le déséquilibre. Lorsqu’elle arrive à croire en cette capacité, elle saura qu’elle peut réaliser le changement. Pour l’auteur, le soulèvement populaire ne pouvait pas s’opérer sans cette prise de conscience par les populations en ce qui concerne leur capacité d’influence pratiquement dans tous les pays arabes, même si la Révolution en Tunisie a donné plus de confiance aux autres peuples sur la capacité d’influencer le cours de l’histoire. Mais même avec cette confiance, la réussite du mouvement protestataire en ce qui concerne la réalisation des objectifs projetés dépend, sur le plan pratique, de deux qualités : « être conscient des objectifs à atteindre » et « être lucide quant aux risques à courir », et cela pour l’ensemble des révoltés. Sans ces deux éléments, le changement ne peut pas arriver à terme dans la mesure où le système en place à chaque étape du soulèvement, peut absorber le mécontentement et dévier le mouvement de protestation de ses buts initiaux.
Les révolutions arabes ont-elles réalisé leurs objectifs ?
Plusieurs articles demeurent très pertinents non seulement par la qualité de l’analyse, mais par la nature des questionnements soumis à la réflexion. Peut-on prétendre que les révolutions mènent de manière automatique les sociétés vers la démocratie, la modernité, le civisme et la civilité ? Si la démocratie propose des outils pacifiques pour la succession, pour la gestion et la résolution des conflits, nous constatons que la violence a toujours été présente pour caractériser les différentes périodes politiques. « Nous n’avons connu une vie politique stable et sans violence que rarement : ceux qui sont arrivés au pouvoir l’ont fait par la violence (coup d’État), ceux qui ont préservé le pouvoir l’ont fait par la violence, et ceux qui étaient dans l’opposition cherchant à renverser le régime, l’ont fait aussi par la violence »[vi]. Si la violence demeure un mode enraciné pour la résolution des conflits et le moyen unique pour le changement,
Peut-on dire que les choses ont changé ? On ne peut pas le prétendre du seul fait qu’on vit dans un État qui se dit démocratique. À quoi sert finalement une démocratie si les individus ne se réfèrent pas à ses règles pour pouvoir vivre ensemble et en sécurité ? Ce que nous vivons, les soulèvements, les protestations, témoignent-ils vraiment de l’existence d’une conscience collective qui « dispose de ce qu’il faut pour gérer le pluralisme et la différence » ? Dans quelle mesure serait-il possible d’instaurer « l’État démocratique » si l’homme arabe reste dans la situation de soumission ? Peut-on croire à une reconstruction de l’espace politique« démocratique », si les individus restent toujours prisonniers de « la culture des Arabes révoltés sur le mode citadin » ? Ce sont quelques questionnements importants formulés par les auteurs et qui ouvrent certainement des pistes de réflexion pour que la Révolution ne soit pas perçue comme finalité en elle-même, mais en tant qu’une étape censée permettre aux sociétés arabes de construire des États démocratiques. La révolution n’est donc qu’une première étape indispensable dans un processus de changement relativement long, et il est encore tôt pour parler en termes de réussite ou d’échec. Les résultats ne seront soumis à appréciation que dans les années à venir car il s’agit avant tout d’un événement dont « les horizons sont angoissants et fascinants », comme le précise Moncef El Marzouki.

notes

[i] E-rabi el-arabi…ila ayn? Oufouk djadid li teghyre e-dimokrati
[ii] C’est généralement la fenêtre qui s’ouvre pour nous annoncer la fin du de la partie du jeu sur Internet, et le slogan annonce au régime la fin de son règne et la fin des jeux de pouvoir.
[iii] D’autres écrits, par contre, des auteurs engagés glorifient les révolutions. On peut citer à titre d’exemple l’ouvrage de Azmi Bichara, 2012, La glorieuse révolution tunisienne, Centre arabe de recherches et de planification des politiques, Doha.
[iv] Nous pensons à l’ouvrage de Pierre Puchot, 2011, Tunisie, une révolution Arabe, Médiapart, Edit: Glaade: Paris.
[v] Hamza El mostafa, 2012, L’espace public virtual dans la révolution syrienne : les caractéristiques, les tendances, les mécanismes de fabrication de l’opinion publique, Doha, Le Centre arabe de recherches et planification des politiques.
[vi] Pour mieux expliciter l’idée, Nour E-ddine Afaya reprend ce passage paru dans l’ouvrage: L’Etat et la société, de Abdelilah Belkeziz, 2008, Beyrouth: réseau arabe de recherche et de diffusion, p. 131.

Auteur

Mustapha MEDJAHDI

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Pages  15-16

Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres

Volume 08 N° 02,​ Septembre 2012

CRASC

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