L’Afrique et le défi de la seconde indépendance
Par J.C. Djéréké
l’Harmattan-Côte d’Ivoire, 2012, 159 pages, 17 euros,
ISBN : 978-2-296-9639-1
La présentation relative à l’auteur indique qu’il a été collaborateur au Centre de recherches politiques Raymond Aron (Paris), après avoir successivement suivi des études de lettres (Université d’Abidjan), de philosophie (Universités de Kinshasa et Paris XII), de théologie et sciences politiques (Institut catholique de Paris). La qualité de prêtre précédemment assumée (comme mentionné sur la page de garde), est nécessairement à prendre en ligne de compte dans l’appréciation globale que peut susciter en l’occurrence un tel livre ; traversé à maintes reprises par un panel de citations issues de l’Évangile, de la Bible, d’encycliques ou autres conciles. Ce qui, d’ailleurs, ne manquera pas de déteindre ostensiblement sur les propos avancés ; parfois assénés de manière un peu sèche, brutale même. Incidemment, l’on apprendra aussi qu’il goûtera aux chemins de l’exil[1]. Des autres antécédents professionnels, il ressort qu’il fut chroniqueur auprès d’un organe local. D’où le profil attenant aux textes proposés et agencés sous forme d’un faisceau d’opinions ; c’est-à-dire s’adressant visiblement beaucoup plus au grand public qu’à celui dit spécialisé. Certains d’entre eux avaient déjà fait l’objet de publication ; tandis que d’autres, inédits, le sont pour la première fois dans ce recueil de textes.
- Un constat relativement succinct et partiel…
D’emblée qualifié de « bilan », ce travail a tout l’air d’un dérivatif par le truchement duquel l’auteur s’empresse de déballer et vider son sac ; et, souligne la préface, « exprime d’abord une colère juste ». (p.18). Avec cette question pendante : « qu’avons-nous fait des 50 premières années de notre indépendance ?» Question lourde, restée ouverte ; car au demeurant, il n’est pas sûr qu’elle ait pu donner lieu aux réponses attendues par les uns et les autres.
Toute ponctuée de « balises », la préface résume ainsi l’état d’esprit dans lequel celui-ci s’inscrit et s’insère : « La crise de notre monde est plus morale que financière et politique. Toute stratégie et toute action viennent de la culture, mais aussi et surtout de la manière dont on représente et perçoit l’autre… », conclura le prestataire (p. 29). Faisant ainsi part de son propre sentiment au regard d’une situation ambiante manifestement préoccupante à tous points de vue et attestant manifestement d’un état de déliquescence décelable à bien des niveaux. En témoignent d’ailleurs les termes utilisés comme à dessein pour dresser le tableau général prédominant : « échec », « banqueroute », « indépendance de façade »[2], « semblant d’indépendance »…
L’avant-propos mérite lui aussi une brève halte. Il y est fait mention d’un jugement foncièrement négatif et pratiquement sans appel ; formulé presque comme une sentence : « dans certains pays, on a même le sentiment que les populations sont devenues plus pauvres que sous la colonisation. Et pourtant, le sol et le sous-sol africain détiennent des richesses colossales et variées… » (p. 11). Et de s’interroger complémentairement : « pourquoi les indépendances ont-elles débouché sur un cuisant échec ? »[3]
Questionnements livrés, exposés de manière frontale. Sans pour autant insister comme il se doit sur les indescriptibles bouleversements provoqués par le rouleau compresseur que fut la colonisation, ni encore moins rappeler à quel point les pays colonisateurs qui ont ruiné l’Afrique présentaient le profil de bandes organisées ou du banditisme de grand chemin. La symbolique de « coupeurs de routes » valant donc aussi dans ce cas précis dans la mesure où cette même colonisation a contribué à retarder de plusieurs décennies le rendez-vous de l’Afrique avec les défis liés à son développement et son essor. Autant d’attributs imputables aux colonisateurs d’hier et qui, en dernier ressort, pourraient tout aussi servir à comprendre pas mal d’aléas ou de travers facilement perceptibles dans les démarches de nombre de commis postcoloniaux ; c’est-à-dire ceux là-mêmes qui, pour avoir été eux-mêmes littéralement « noyés » dans ce que ce fut un certain «éthos/bouillon de culture colonial» sembleraient en porter jusqu’à l’heure actuelle l’indélébile et imprescriptible empreinte[4].
Logiquement, on pouvait s’attendre à voir cet ouvrage aborder de multiples contextes, il n’en fut rien. Et s’est donc limité à se polariser sur les seuls points faibles, négligeant ainsi toute allusion à d’autres éventuels aspects plus ou moins positifs. Pas plus qu’il ne semble avoir été particulièrement attentif aux enjeux majeurs ou aux transformations en cours. L’accent s’étant porté exclusivement sur les seuls constats sans que cela ait été suivi par l’expression d’un quelconque intérêt, même fugace, pour les dynamiques invitant au changement. Ce qui, au bout du compte, en donne une lecture non seulement parcellaire mais aussi plutôt biaisée, voire pessimiste ou encore fataliste.
Toutefois, il faut bien reconnaître que si peu approfondie qu’elle soit, cette contribution donne malgré tout à réfléchir sur le devenir de l’Afrique et les enjeux liés à son devenir. Ainsi, dans une certaine mesure, permet-elle de prendre connaissance des différents angles de vue à partir desquels l’auteur a cru pouvoir inventorier les éléments ayant justifié son intérêt. Tout autant que son insistance à vouloir les considérer comme importants dans sa saisie, sélective, de quelques maux ou autres handicaps dont souffre encore aujourd’hui le continent. D’autant plus que la parution même de cet ouvrage s’inscrit dans un moment bien particulier, qui se trouve celui concordant avec la célébration par « dix-sept pays d’Afrique francophone… en 2010 (du) cinquantenaire de leur « indépendance »».
Un cinquantenaire jugé, au fond, globalement négatif : « parce que la majeure partie des Africains manque d’eau potable, d’électricité, de routes praticables, d’écoles, de dispensaires, d’assurance-maladie, etc. Que s’est-il passé pour aboutir à un tel résultat ? Qu’est-ce qui a empêché ces pays de « décoller »?»
- Des pistes thématiques quelque peu disparates, hétéroclites et brouillées
De fait structuré/articulé comme il l’est en vingt-trois chapitres, l’ouvrage s’avère d’inégale importance quantitativement et qualitativement parlant ; et traitant de thématiques plus ou moins composites conformément à l’usage en matière de chroniques journalistiques. Il faut noter que sept parmi ces chapitres sont presque exclusivement consacrés au rôle de l’Église et à sa place singulière dans la société ivoirienne. Ce qui amène à conclure aussitôt que le principal sujet de prédilection est bien celui attenant à la mission sociale de celle-ci ; et chemin faisant, aux hommes désignés pour la représenter dans le contexte considéré. Nous reviendrons plus loin sur ce détail qui, à vue d’œil, retient l’attention d’une manière ou d’une autre.
Sous un autre angle, peut-être pourrait-on aussi relever la touche quelque peu philosophique qui, parfois, semble sous-tendre le développement général adossé au livre ; et qui, cela va de soi, vaut d’être mise en relief de temps à autre pour qui veut en comprendre réellement les tenants et aboutissants.
Que dire encore à ce sujet, sinon que c’est aussi un livre qui, à la fois par le ton rapidement adopté et les thèmes connexes soulevés, renvoie d’emblée aux éphémérides de l’actualité sociale et politique en Afrique ; semblant en cela ressasser, à son tour, pratiquement les mêmes griefs déjà formalisés auparavant à l’encontre de systèmes considérés, à tort ou à raison, comme profondément contaminés ou altérés par leur inconditionnel suivisme déclaré (notamment vis-à-vis des ex-puissances colonisatrices prises, indéfiniment, comme « modèles » ou « référents »).
En revanche, le titre assigné au livre prête forcément à qui proquo dans la mesure où la « radioscope » attendue se limite finalement à faire cas d’un prétendu bilan, le plus souvent à partir de descriptions inspirées du contexte proprement ivoirien ; perdant ainsi de vue, à maintes reprises, la vue d’ensemble que le titre annonçait sans doute un peu présomptueusement. Car oubliant de prendre en compte d’autres éléments explicatifs dans sa narration des faits, polarisés comme chacun peut le constater presque entièrement sur la crise (exacerbée) interne ivoirienne (révélée à la faveur de l’épisode des dernières élections présidentielles de décembre 2010) ; d’ailleurs commentées avec une non moins évidente et indiscutable partialité. Ce qui, sans aucun doute, ne peut s’expliquer sans lien avec une posture adoptée depuis le début ; ayant consisté à une mise en exergue manifeste du seul crédo référé à sa propre filiation idéologique.
Pour autant, il est cependant constaté que presque chacun des chapitres proposés se trouve mettre l’accent, à sa manière, sur un enseignement tiré à l’évidence d’une observation attentive de la réalité sociologique africaine comme peuvent l’illustrer les exemples ci-après :
- « …la politique n’a pas d’autre finalité que le service et le service de tous (l’ensemble des ethnies, de partis politiques, des religions, des couches sociales… » p. 83)
- « une réflexion sur les avantages liés à la démocratie. » (pp. 93-96)
- « La difficulté pour la France » d’avoir des rapports normaux avec les Africains » (p. 99)
Vient ensuite une critique, particulièrement acerbe, relative à l’organisation familiale africaine élargie qui, selon ses dires, constitue un énorme boulet : « l’Africain est prisonnier et souvent victime de cette famille où oncles, tantes, neveux, nièces, cousins et cousines ne rêvent que d’une chose : vivre aux crochets de celui qui a plus ou moins « réussi » » (p. 62) ; semblant en même temps occulter les autres fonctions attributives relevant du cercle familial dans ses diverses connotations sociologiques.
Avec parfois des comparaisons inattendues : «…les pays africains n’ont pas le monopole des mauvaises pratiques. En Occident aussi, on remarque que le train de vie des gouvernants n’a rien à voir avec le train de vie des gouvernés.» (p. 82). Ce qui, indirectement, donne parfois aussi l’impression que ces propos viennent confirmer ce pli contracté chez la plupart des Africains ; consistant toujours à tenter de s’auto-évaluer par rapport aux standards ou normes en vigueur dans l’hémisphère Nord. La distanciation requise, semble-t-il, n’ayant pas encore été opérée à ce jour.
Sur un autre plan, il convient d’ajouter que la première impression ressentie à la vue et au contact de la physionomie générale du livre ne prête pas forcément à considérer qu’il s’agit là véritablement d’un travail de réflexion assez poussée ; mais inciterait tout au plus à pencher pour l’idée d’un faisceau d’opinions juxtaposées ? Sans doute rassemblées à une seule fin, pourrait-on dire, de pouvoir donner lieu à ce qui se voudrait une vision d’ensemble autour d’une thématique déterminée. Et de fait, le livre proposé est bel et bien singulièrement limité, confiné comme il l’est à une simple compilation de textes ; certes quasiment ou facilement dissociables les uns des autres mais cependant accolés à dessein pour, d’une part, leur épargner sans doute un éventuel oubli et, d’autre part, faire certainement mémoire avec l’intention de rendre compte d’un certain état des lieux.
Un état des lieux en vérité, pas toujours nécessairement élogieux ; ni même prêtant en l’occurrence à un bilan plus ou moins apaisant ou réconfortant. C’est que le caractère plus ou moins dispersé, un peu épars même, a fait que l’approfondissement escompté ne soit pas toujours au rendez-vous. Pas plus d’ailleurs que l’analyse véritablement fouillée, minutieusement circonstanciée ; même si dans le même temps, il y a lieu d’admettre qu’il ne manque pas de s’appuyer en cas de besoin sur une solide documentation[5] et des positions défendues par d’autres essayistes ou militants engagés pour la cause de l’Afrique. N’hésitant pas, en conséquence, à prendre comme points d’appui de précieuses citations ou autres témoignages jugés pertinents ou tout à fait appropriés pour donner plus de corps à ses propres extrapolations ; sinon pour suggérer, le cas échéant, de nouvelles pistes méritant d’être explorées et défrichées à leur tour.
Dans le déroulement de la trame du livre, l’on peut donc relever une série de constats énoncés et mettant l’accent tantôt sur l’épanouissement économique et social (qui n’a pas eu lieu pour cause de la confiscation des richesses aux mains d’une « minorité arrogante et méprisante ») ; tantôt sur ce qu’il appelle « nos propres démons (tribalisme, corruption, non-respect du bien commun, indiscipline, paresse, etc.) » (p. 45). Bref, un tableau général d’une Afrique décrite comme bien mal en point, fragilisée et discréditée par certains de ses dirigeants au pouvoir qui ne défendent pas ses intérêts mais les leurs (p. 133). Sans pour autant jamais mettre en avant à quel point celle-ci, malgré l’adversité, garde encore intacts d’authentiques ressorts ; susceptibles de l’aider à se relever et se redresser. Une Afrique qui n’a, par conséquent, aucune raison de désespérer de son avenir pour peu que soient utilisées ses immenses ressources à bon escient ; pour peu que le pouvoir ne soit pas utilisé à des fins « d’enrichissement et de domination » (p. 81).
En tout état de cause, si le livre en question parait animé par-dessus tout d’un réel souci destiné (vraisemblablement, à provoquer un salutaire déclic de conscientisation), il reste que le titre assez prometteur retenu (suggérant un nouveau départ) ne semble guère avoir été suivi d’effet pour s’attarder sur une pluralité d’autres éléments explicatifs. Même si, en dépit de cela, l’auteur ne manque pas de préciser que la finalité assignée à son livre vise à « provoquer un sursaut, conduire à un changement de mentalités et de comportements. Changement sans lequel, il sera difficile, voire impossible, d’accéder à la vraie indépendance qui passe par l’amour du travail, la rigueur, la confiance en soi, la lutte contre le tribalisme, le respect de la chose publique… ».
Grosso modo, les critiques soulevées tendent à rappeler à quel point la phase postcoloniale a fait mettre à jour très tôt de bien étranges connivences et curieuses complicités. Parmi ces sociétés, nombre d’entre elles n’auront donc même pas eu le temps (suite au desserrement de l’étau colonial) de décompresser un peu pour reprendre leur souffle en vue de se reconstruire, qu’elles se retrouvèrent à faire encore les frais et subir les affres de dictatures postcoloniales. Et de fait déjà gravement abimées par la colonisation, ces sociétés ont du faire aussi les frais de totalitarismes postcoloniaux sous des régimes bornés ou crispés comme pas possible ; archi-connus pour se prévaloir d’une extrême rigidité autoritariste. Car en vérité, n’ayant jamais pu/su adopter, vis-à-vis de leurs populations respectives, une approche (philosophie) nouvelle. C’est pourquoi, il est permis d’affirmer que la magie ineffable des indépendances ayant été froidement cassée, violée et broyée, n’a donc pas toujours débouché sur les changements de perspective si ardemment souhaités, ni même sur une amélioration notable et/ou palpable de leur quotidien ; en termes de qualité de vie ou de bienêtre dans les contextes en question. L’espèce d’« amateurisme » sur le plan politique dont firent preuve nombre de « régents » de la période postcoloniale renseigne aussi grandement sur l’état d’esprit qui les animait. En un certain sens, les indépendances n’ont pas signifié pour l’Afrique, loin de là, la fin des aventures périlleuses et incertaines.
Tout en prenant visiblement en compte la seule place dévolue à la religion catholique dans la société ivoirienne, cela ne l’empêche pas d’être particulièrement critique. Ainsi, est-il aussi question (comme souligné à nouveau distinctement dans la préface évoquée), d’une « remise en question de la mission de la religion ou de son orientation, une mise en cause même de certains dérapages » ; et chemin faisant, d’une critique en règle de la hiérarchie catholique officiante dans la formation sociale évoquée. Avec l’intention affirmée de « mettre à jour quelques problèmes de fond » et de se prononcer là-dessus (p. 117).
En sachant qu’aucune allusion n’est faite en ce qui concerne la présence de l’islam, on se pose donc naturellement les questions suivantes : serait-ce par prudence, par choix délibéré ou alors par calcul clairement assumé dans l’intention de ne pas « empiéter » sur un espace mitoyen considéré comme strictement réservé ? Ou bien, considère-il que la hiérarchie officiante dans le registre propre à l’autre religion évoquée s’est bien gardée de voir entachée son action en gardant à son profit une distance appréciable par rapport aux coulisses du pouvoir dans la société considérée ?
On n’en saura pas plus sur les raisons du silence soigneusement observé sur la question. Comme si l’auteur en raison même de sa propre filiation religieuse (étant ecclésiastique lui-même comme souligné plus haut) avait choisi d’occulter délibérément toute référence, implicite ou explicite, à une telle dimension ; pourtant dûment attestée et avérée dans les méandres chronologiques du cadre géographique considéré.
Un autre versant apparait en filigrane dans le livre : les récentes élections présidentielles qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire et les nouvelles recompositions de l’échiquier politique qu’elles ont provoqué. Tout en affirmant que « la crise ivoirienne a révélé une fois de plus que la France n’a pas arrêté d’intervenir dans les affaires internes des Africains comme au temps de la colonisation » (p. 215). Et c’est sans doute là aussi que se situe le deuxième point central du livre : une critique en règle du rôle occulte assumé par une France qui, selon lui, continue de tirer les ficelles ; contrôlant donc les richesses des pays « indépendants ». Décrivant ainsi le sort de son pays « la Côte d’Ivoire dont les attributs de souveraineté ont été détruits par un pays qui se vante d’être la patrie des droits de l’homme » (p. 127). Mais surtout s’en prenant à vif au vainqueur des dernières élections présidentielles et en ne manquant pas du même coup de cibler un «système » ayant pour nom : la « Françafrique ». Avec tous les sous-entendus qualifiés pour lui être associés et tendant, entre autres, à démontrer que la décolonisation est loin d’être achevée.
Cependant il y a lieu d’indiquer que la posture critique, affleurant à vif presque à chaque page, reste malgré tout suffisamment éclairante sur la posture militante et anticolonialiste, telle que revendiquée et assumée par son auteur. Par conséquent, ce qui retiendra sans doute le plus l’attention, de prime abord, sera certainement ce ton de révolte difficilement contenue, qui comme souligné plus haut, transparait explicitement à travers les pages du livre en question face à un bilan de cinquante années consommées et vécues à l’ombre des indépendances ; bien entendu jugées, selon lui, des plus décevantes car passées sans qu’elles aient pu répondre comme il se doit à tous les grands espoirs nourris par les uns et les autres. Évoquant alors, pour renforcer ses propos, le sort de «l’Afrique malade de la mauvaise gouvernance de ses dirigeants, d’une mauvaise conception de la politique, du tribalisme… » (p. 51).
Puis, à la faveur d’une subtile mise en comparaison entre pays francophones et anglophones, ces derniers sont considérés selon lui comme s’en sortant beaucoup mieux sur bien des plans que ceux de la sphère francophone encore en butte à bien des coups fourrés signés de l’ancienne puissance coloniale : «…on constate qu’il y a plus de coups d’État en Afrique francophone que dans les autres parties du continent, que nos frères anglophones s’en sortent beaucoup mieux que nous en termes d’accès à l’éducation, à la santé et à l’eau potable, d’alternance au pouvoir sans effusion de sang, d’organisation d’élections équitables, justes et transparentes, de respect des droits de l’homme, que l’Angleterre ne s’immisce pas, de manière intempestive et indécente, dans les affaires internes de ses ex-colonies…» (p. 43).
En guise de conclusion
Ce bref clin d’œil adressé aux candidats potentiels à l’immigration clandestine et formulé en ces termes : « si certains jeunes africains savaient qu’en Europe, la solitude et les relations froides côtoient les supermarchés achalandés, les rues nettoyées et les bus et métros arrivant à l’heure, ils cesseraient d’idéaliser Paris, Amsterdam, Londres ou Berlin ; ils éviteraient surtout de courir (…) le risque de monter dans un train, un avion ou d’emprunter des embarcations de fortune pour réaliser leur rêve d’échapper à l’« enfer » africain » (p. 26).
Les réponses apportées et supposées expliquer les raisons pour lesquelles l’Afrique a raté son rendez-vous avec un développement réel et durable ne sont pas franchement convaincantes. Car laissant forcément dans l’ombre bien d’autres facettes importantes. Et en outre, ne s’attardant point à vouloir montrer par exemple pourquoi il y a eu dans bien des cas réactivation des forces jusque-là endormies (atavismes…) ; qui elles aussi, de bien des manières, ont leur part dans les échecs signalés ici ou là. Pas plus qu’il n’évoque aussi les invraisemblables bouleversements provoqués par la colonisation ; dont les effets ne peuvent s’effacer, du jour au lendemain, comme d’un simple coup de baguette magique. Enfin, il ne semble guère prendre suffisamment en compte les nouveaux « séismes » provoqués par l’entrée d’une technologie envahissante et les conséquences perturbatrices qu’elle engendre sur tous les éléments constitutifs des cultures locales.
Cette vision prospective, qui assurément fait défaut, aurait certainement pu donner plus de force ou de prenant à la trame d’un livre qui, à sa manière, raconte les promesses flouées et les rendez-vous manqués dans cette Afrique post-coloniale… toujours en attente de lendemains meilleurs !
Notes
[1] « Pour des raisons évidentes dans un contexte ivoirien fait de persécutions permanentes de tous ceux qui incarnent une pensée dissidente. », comme souligné dans la préface.
[2] C’est-à-dire à comprendre au sens de simulacre. Ce dernier défini dans comme « ce qui n’a que l’apparence de ce qu’il prétend être » (Cf. Larousse).
[3] Cf.http://nouveaucourrier.net/lafrique-et-le-defi-de-la-seconde-independance-ledernier-livre-de-jean-claude-djereke-est-sorti-a-paris/).
[4] « De nombreux travaux ont mis en évidence l’arbitraire institutionnalisé qui caractérisait le régime de l’indigénat, la toute puissance des « commandants de cercle (qui cumulaient tous les pouvoirs), les ponctions permanentes en hommes et en produits (travail forcé, contributions obligatoires, impôt capitaire, conscription, etc.), les brimades incessantes et les humiliations quotidiennes.
Le terme de « despotique » a lui-même été déjà utilisé à ce propos ». « Considérer l’État colonial comme un fournisseur de services à des usagers semble donc anachronique, voire surréaliste, tant l’« indigène » était loin d’être traité en « usager ». Mais pourtant l’État colonial, malgré tout, assurait aussi des prestations envers ses sujets (santé, éducation, routes, par exemple). C’est justement ce paradoxe qui définit la gouvernance despotique : des services sont délivrés, mais sur un mode autoritaire, répressif, arrogant, voire raciste. À cet égard, la gouvernance despotique coloniale n’est évidemment qu’une des multiples figures des modes despotiques de gouvernance à travers l’histoire.
Mais la gouvernance coloniale constituait aussi une forme assez particulière de gestion des affaires publiques, qui mélangeait un ensemble de traits issus du modèle étatique européen (avec sa bureaucratie, ses procédures, ses organigrammes, ses rapports, ses institutions) et un autre ensemble de traits « inventés » par la situation coloniale et souvent en contradiction avec les précédents (puisqu’on commandait à des « indigènes », au lieu d’administrer des citoyens), dans une situation complètement dérogatoire par rapport à la métropole ».
Cf.http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-analyse-263.html
[5] En citant, par exemple, « Partenia (diocèse situé non loin de Sétif en Algérie et disparu au 4ème siècle) », (p. 116).
Auteur:
Mahmoud ARIBA
Pagination
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Africa Review of Books/ Revue Africaine des Livres
Volume 10 N°01, Mars 2014