Éclairer le passé pour mieux dessiner l’avenir
Laurence Aïda Ammour, Georges Berghezan, Ferdaous Bouhlel,
Frédéric Deycard, Charles Grémont, Berangère Rouppert et Antonin Tisseron,
Préface de Louis Michel
Éditions GRIP, Bruxelles, 2013, ISBN : 978-87291-036-6, 134 pages, 13,90
À la lisière Sud du Sahara, le Sahel retient l’attention des observateurs de façon cyclique depuis les années 1960 déjà (avec l’indépendance des différents pays), et les causes en sont multiples : sécheresse qui, dans le passé, avait frappé de plein fouet des populations de pasteurs dont les troupeaux avaient été décimés (c’était le cas dans les années 1970), absence de véritables projets socioéconomiques et instabilité politique porteuse de rebellions à caractère social et ethnique. Depuis ces dernières années, il est devenu un foyer de forte implantation d’organisations djihadistes nourries par le trafic de drogue qui a fini par constituer une plaque de fixation ici, les paiements de rançons liées aux prise d’otages, le contrôle des circuits d’armes venues de Libye, et encore plus la domination de populations souvent sans protection face à la fragilisation des États concernés.
Depuis le début de 2012 lorsque le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui s’était érigé en porte-parole des Touaregs du Mali, a cru instaurer dans la partie Nord du pays un État indépendant de l’Azawad, les choses se sont précipitées puisque Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et les organisations qui semblent lui être liées, notamment Ançar Eddine et le MUJAO, détrônent le MNLA et prétendent instaurer dans la région un État islamique. L’incapacité du gouvernement malien (ou son absence de volonté) à intervenir sur le cours des évènements, va on le sait, susciter en mars 2012 un coup d’État militaire à Bamako, puis le 11 janvier 2013 l’intervention de l’armée française (opération Serval), officiellement dirigée contre les djihadistes qui avaient commencé une offensive vers le Sud du pays. Cette actualité brulante et à l’enchevêtrement complexe a été à l’origine d’une série de publications produites par des journalistes, politiques et chercheurs dont l’objet est de scruter la trame des évènements et de proposer des analyses aux publics intéressés.
Un de ces ouvrages[1] ayant pour intitulé Sahel. Éclairer le passé pour mieux dessiner l’avenir, rédigé par un collectif de spécialistes coordonné par Bérangère Rouppert, retiendra notre attention parce que loin de se limiter à cibler la crise malienne, il nous propose de la situer dans son contexte régional en y incluant l’interaction avec des pays frontaliers tels la Libye, le Niger, la Mauritanie ou l’Algérie, mais aussi internationaux comme la France, les États Unis et l’Union européenne. En tout état de cause, même si la crise couvait depuis longtemps au Mali, l’évolution des évènements en Libye, suite à l’intervention franco-britannique soutenue par l’OTAN et la chute du régime de Kadhafi (fin 2011- début 2012), ne pouvait que précipiter la situation. Il est notoire que la Libye constituait un pays d’immigration pour les populations de la région, et que les Touaregs de différents pays en recherche de travail étaient, notamment encouragés par la propagande du leader de la Jamahiriya à s’y installer ou au moins à faire des séjours, en s’engageant parfois comme supplétifs de l’Armée libyenne. La chute du régime de la Jamahiriya allait laisser libre cours à un trafic puisant dans les importants stocks d’armes, parfois des plus sophistiquées, qui y étaient entreposées. Non seulement les Touaregs fuyant la guerre vers leurs pays respectifs, mais tous les réseaux islamistes implantés dans les pays voisins allaient en tirer largement profit, avec les retombées, en particulier sur un pays aussi déstructuré que le Mali, véritable ventre mou de la région.
Le Mali sous le « système ATT »
Instructive est de ce point de vue la contribution de Georges Berghezan ayant pour intitulé «La corruption au cœur de l’État malien». Le chercheur montre en effet comment l’intervention occidentale en Libye a pu accentuer la décomposition de l’État malien, facilitant la tâche des narcotrafiquants et autres sécessionnistes. Même si l’auteur émet des réserves quant aux limites méthodologiques des analyses de l’ONG Transparency International, qui s’appuie moins sur les faits eux-mêmes que sur leur perception par certaines catégories sociales (en ciblant en particulier le secteur public), et par ses attaches idéologiques à la politique américaine, il lui emprunte des données édifiantes sur l’étendue de la corruption dans le pays, au niveau assez similaire en fait à ceux en cours dans la région.
L’auteur met cependant en relation cette poussée de la corruption et du clientélisme avec la vague de libéralisation économique des années 1980, puis avec le multipartisme introduit en 1991, tout en n’occultant pas les efforts éphémères du Président Alpha Oumar Konaré (1992-2002), et à certains moments de son candidat et successeur, Amadou Toumani Touré (ATT, 2002-2012) pour les combattre (ATT instituera notamment la fonction assez éphémère de Vérificateur général). Le «système ATT» va cependant surtout être caractérisé par un certain nombre de facteurs à l’effet néfaste pour le pays, parmi lesquels :
- un désengagement socio-économique et sécuritaire de l’État surtout dans le Nord du pays après l’accord signé à Alger le 4 juillet 2006 entre le gouvernement et le mouvement touareg. Les islamistes du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), fuyant l’Algérie, allaient en profiter pour s’y installer ouvrant ainsi la voie à la création et à l’implantation de Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ;
- la recherche « de la paix "à tout prix" avec les rebelles et éléments criminels du Nord Mali » comme le relataient des organes de presse (p.53), laissant la voie aux islamistes liés aux narcotrafiquants, marchands d’armes, et autres preneurs d’otages rançonnés pour financer[1] AQMI et des organisations qui lui sont liées telles Ançar eddine de Iyad Ag-Ghaly et le Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Les moyens financiers captés par ces organisations allaient permettre de mobiliser largement les jeunes désœuvrés, réduisant progressivement la base du MNLA lorsqu’après plusieurs attaques de villes dans le Nord du pays, ce mouvement s’aventurera à proclamer l’indépendance de l’Azawad (6 avril 2012) ; ceci d’autant plus que les autres populations minoritaires du Nord-Mali craignaient d’être encore plus marginalisées par les Touaregs.
Le gouvernement malien, surtout sous le régime d’ATT, avait bénéficié pourtant de différents programmes d’aide et de soutien international qu’il n’a pas su ou plutôt voulu utiliser pour assurer le contrôle et stabiliser la situation dans la partie Nord du Mali, surtout de la part des Américains après les attentats du 11 septembre 2001. Des programmes tels l’African Crisis Repsonse Initiative (ACRI en 1997), le Pan Sahel Initiative (PSI après 2001), l’Africa Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA en 2002), et surtout en 2005 le programme touchant le Sahel, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Nord, Trans-Sahara Counterterrorism Partnership (TSCTP) et autre Millenium Challenge Corporation (MCC lancé en 2004), avec des objectifs socio-économiques et militaires, avaient permis d’engranger des centaines de millions de dollars avec la formation et l’équipement des troupes maliennes et la participation à des manœuvres combinées encadrées par les Américains et l’OTAN[2]. De même, la constitution du Comité d’Etat-major militaire opérationnel conjoint (CEMOC) regroupant le Mali, le Niger, la Mauritanie et l’Algérie ne semble pas avoir suscité d’initiatives de la part d’ATT, au point de faire naitre la suspicion chez ses alliés[3]. En fait, l’État malien était complétement miné par une corruption qui n’épargnait ni le gouvernement ni la justice et encore moins les services de sécurité dont la complicité aurait été avérée dans des paiements de rançons, des transferts de cocaïne par avions cargos venus de Colombie ou de haschich convoyé du Maroc, de cigarettes ainsi que de livraisons d’armements provenant notamment de Libye.
L’insurrection déclenchée par le MNLA dans le Nord du pays puis la proclamation de l’indépendance de l’Azawad (en avril 2012), le coup d’État soutenu par une partie de la population à quelques semaines des élections présidentielles, la menace armée islamiste qui semblait se diriger vers le Sud du pays, puis l’intervention de l’Armée française (opération Serval en janvier 2013) soutenue par les unités africaines de la MISMA[4], seraient à mettre au compte des conséquences du système ATT aggravées par l’effondrement du régime libyen.
Les effets sur les États frontaliers : ce qu’il en est du Niger et de la Mauritanie
La question des Touaregs du Niger, traitée par Frédéric Deycard, est intéressante de différents points de vue :
- elle permet de situer la proximité ethnique des populations du Niger et du Mali avec, dans les deux cas, l’existence de tendances autonomistes parfois appuyées sur des rebellions. C’est le cas au Niger depuis le coup d’État militaire en 1974 de Seyni Kountché (mort en 1987) qui a accentué la répression et le contrôle policier et militaire. En 2008, cependant, un accord de paix est signé entre le gouvernement et le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Même si le résultat pour les Touaregs semble limité sur le plan social, nombre d’entre eux ont été intégrés par le régime, souvent à de hautes responsabilités ;
- la proximité de la Lybie a poussé à des mouvements migratoires importants touchant les ishumar (chômeurs ou migrants économiques) vers ce pays pétrolier, notamment depuis le début des années 1970 avec l’arrivée au pouvoir de Kadhafi, et ce sera le cas aussi pour les Maliens et les Tchadiens. À la différence du Mali, le djihadisme aurait cependant moins gagné chez les Nigériens ;
- en fait, contrairement à la déliquescence du pouvoir malien, le régime nigérien, tout en intégrant d’anciens opposants, continue à assurer son contrôle sur le Nord du pays dans la région d’Agadez, notamment à forte population touarègue et vu sa proximité des mines d’uranium. Avec la présidence de Mamadou Issofou, la coopération militaire qui, depuis l’indépendance du pays, le lie à la France a été accrue, de même qu’avec l’Union Européenne et les États-Unis. Des troupes françaises sont d’ailleurs stationnées depuis fin 2012 à Agadez (à proximité des gisements d’uranium) tandis que les Américains entretiennent une base de drones à Niamey.
Cependant, il n’est pas dit que l’évolution en Libye n’induise pas dans l’avenir des retombées plus dramatiques pour le Niger6 non tout à fait remis des rebellions du passé et où les questions socioéconomiques fondamentales semblent loin d’être résolues.
La Mauritanie est bien sûr concernée par l’instabilité qui sévit dans le Sahel, avec plusieurs agressions menées par les islamistes. C’est ainsi que différentes attaques ont été menées depuis 2005 contre des militaires et des touristes français. Les autorités du pays vont cependant réagir en démantelant des réseaux accusés de terrorisme et en lançant des attaques pour frapper leurs bases à l’intérieur même du Mali (et face à l’inertie des services de ce pays). C’est ainsi qu’ils vont y mener en 2010-2011 une opération conjointe avec l’Armée française. Un autre raid mené en octobre 2011 dans la forêt de Wagadou avec une couverture malienne assez décevante (elle aurait permis des fuites au profit des djihadistes), amène les Mauritaniens à intervenir de nouveau sans en informer le gouvernement d’ATT auquel ils sont pourtant liés par de nombreux accords multilatéraux de coopération militaire7. La fermeté des autorités de Nouakchott semble donner des résultats sur le terrain, mais nécessiterait un accompagnement de réinsertion socio-économique des jeunes susceptibles d’être gagnés par le discours djihadiste. C’est ce que Ferdaous Boublel essaie de développer dans sa contribution : « Tawba, expérience mauritanienne de redéfinition de la violence "légitime". Entre repentance, médiation et exercice fiqhi en matière de Djihad ». Des discussions entamées en 2006 dans les prisons ont pu en 2010 aboutir à un débat public entre spécialistes du droit religieux (des Fuqaha) et les détenus, mené « sous les houlette de l’État mauritanien », avec pour objectif de délégitimer l’usage de la violence dans la confrontation politique. La référence aux modèles d’amnistie et de « réconciliation nationale », menés en Algérie et Libye, aurait permis sous la pression de l’opposition au parlement et de la mouvance des Frères musulmans le vote en juillet 2010 d’une loi sur le terrorisme. Expérience à suivre.
Le cas de l’Algérie
L’Algérie est notamment abordée dans une contribution de Laurence Aida Ammour ayant pour intitulé : « L’Algérie et les crises régionales entre velléités hégémoniques et repli sur soi ». Ce titre est assez révélateur de l’optique adoptée par l’auteure qui décrypte les positions algériennes concernant la situation au Sahel essentiellement à travers deux volets :
- « son activisme à travers une série d’initiatives visant à contrôler "la lutte contre la terreur" au Sahara et au Sahel », politique inefficace selon elle comme l’indiquerait ce qu’elle considère comme un échec de mise sur pied d’organismes conjoints avec d’autres pays. Ce serait le cas ainsi pour le CEMOC installé en avril 2010 à Tamanrasset en partenariat avec le Niger, le Mali et la Mauritanie, et pour l’Unité de fusion et de liaison (UFL) crée à Alger en octobre 2010 pour partager le renseignement militaire avec des pays tels les trois cités plus haut auxquels il faudra ajouter la Libye, le Burkina Faso, le Tchad et à partir de fin 2011, le Nigeria.
- ce qu’on pourrait qualifier d’inertie algérienne en refusant d’intervenir militairement au Mali préférant des médiations sans suite, de l’avis de l’auteure, favorables au jeu des organisations terroristes qu’elle manipulerait même. En s’appuyant sur des sites aux informations pas toujours vérifiées ou mises à jour8, elle ne perçoit que tromperies, inefficacité et velléités relevant encore « de la guerre froide ». L’auteure va plus loin encore en stigmatisant en particulier le Front Polisario qu’elle accuse de « corruption », de trafic d’armes, de drogue (sans préciser pour autant d’où proviendrait cette drogue), et de mettre les camps de réfugiés sahraouis à la disposition des réseaux terroristes, le MUJAO notamment (dont une des spécificités relevée par la presse est pourtant de cibler curieusement dans ses attaques les Sahraouis et les Algériens9, ce que l’auteure ne relève pas). Par ailleurs, le régime algérien, qui n’est pas seul à s’être laissé « surprendre par le Printemps arabe », arrive à coordonner l’action de ses services de sécurité avec la majorité des pays qui partagent avec elle une frontière continentale. Puissance militaire dans la région, l’Algérie a bien sûr un rôle à jouer dans les évènements en cours surtout au vu de l’immense désert du Sahara qui fait partie de son territoire (quelques deux millions de km2) et des milliers de kilomètres de frontière qu’elle partage avec les pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger) et de la Libye10. La crise qui dans la décennie 1990 surtout avait engendré la vague de violence terroriste et contre-terroriste est encore dans les mémoires et les séquelles sont encore là avec des attentats terroristes sporadiques dont celui en janvier 2013 contre le site gazier de Tiguentourine (près d’In Amenas, non loin de la frontière libyenne) qui, rappelons-le, a fini par être mis en échec suite à l’intervention des Forces spéciales. Le contrôle sur le territoire est cependant pour l’essentiel assuré par les autorités du pays et ce grâce aussi bien à une intervention énergique des services de sécurité qui évidemment ne s’est pas toujours faite sans bavures, que de certains acquis dûs à la politique de Rahma (pardon accordé aux repentis) et de retombées au moins relatives de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par referendum le 14 mai 2005.
Depuis leur ralliement à la lutte antiterroriste suite aux attentats de New York du 11 septembre 2001, les États Unis ont pris conscience de l’intérêt à tirer profit du potentiel acquis dans ce domaine par l’Algérie qu’ils sollicitent pour leur expertise et associent à leurs entreprises dans la région notamment dans le cadre du TSCTP. Les Européens sont à peu près sur la même ligne en considérant comme le rappelait dans la préface de l’ouvrage, une personnalité de l’Union européenne (UE), Louis Michel : « Si la Mauritanie joue un rôle essentiel face à un risque de « somalisation » du Sahel, l’Algérie détient la clé pour solutionner l’ensemble de la problématique du Sahel. L’Algérie à une armée puissante, a fermé ses frontières, a autorisé le survol de son territoire pendant l’opération Serval et a fourni un appui logistique important » (p. 10). Le rôle joué en mobilisant des troupes sur des milliers de kilomètres de frontières, en verrouillant notamment la partie nord de l’Adrar des Ifoghas au moment où les islamistes étaient pourchassés au Mali, et en déployant des forces empêchant toute possibilité de repli des terroristes du Djebel Châmbî en Tunisie au moment où l’Armée Tunisienne tentait de ratisser la région (tout en ayant déjà fort à faire avec les zones d’infiltration aux frontières libyennes), indique combien l’Algérie participe à la sécurité de ses voisins. Quant à ce qu’on pourrait qualifier d’échec de l’action du CEMOC, les raisons ne sont pas toujours là où pense les trouver L.-A. Ammour ; différents câbles diplomatiques américains divulgués par Wikileaks, ceux auxquels fait notamment référence G. Berghezan dans sa contribution sur l’effondrement de l’État Malien, amènent des éclairages que l’auteure a totalement négligés11.
Retour sur la crise malienne ; et maintenant ?
L’intervention en janvier 2013 de l’Armée française au Nord-Mali, qui continue en ce moment avec les contingents de pays africains participant à la MINUSMA, a certes permis de réduire de façon drastique l’emprise d’AQMI, Ançar eddine et autre MUJAO sur la région. Plus rompus militairement et fournis sur le plan financier que le MNLA, ils étaient mieux en mesure de profiter de l’effondrement de l’État malien pour assurer leur hégémonie sur la région en trouvant des soutiens dans les milieux touaregs eux-mêmes et Berabiches, mais aussi chez les Soninkés, Songhaïs et Peuhls. Dans une contribution intitulée « Imaginer revivre ensemble », Charles Grémont rappelle à juste titre : « En effet de nombreuses personnes à Tombouctou et Gao ont accueilli et soutenu les nouveaux maitres islamistes, car ils mettaient fin aux vols et aux désordres qui avaient accompagné la conquête du MNLA. De plus, l’idée, voire la hantise, forgée à travers l’histoire d’une domination à caractère ethnique et racial des guerriers Touaregs sur les populations sédentaires de la vallée du fleuve (le fleuve Niger), a semble-t-il traversé de nombreuses consciences traumatisées par l’offensive du MNLA. Aussi, pour elles, le nouveau régime islamiste a-t-il pu être accueilli comme un moindre mal au moins pour un temps » (p. 123).
L’élection en août 2013 du président Ibrahim Boubekar Keita (IBK) pourra-t-elle donner une nouvelle légitimité à l’État malien et contribuer à rassurer les populations ? Il faut l’espérer tout en se disant que la tâche demeure ardue parce qu’il faudra enclencher une véritable politique de développement de la région et de tout le Mali en promouvant les principes d’équité sociale et de citoyenneté. Le soutien international est dans un premier temps au moins incontournable tout en ne perdant pas de vue qu’il ne devra pas être mené (comme cela a été souvent le cas) dans une perspective de domination néocoloniale de la région, et qu’il doit cibler en premier lieu les populations qui en ont le plus besoin et dans une perspective de véritable développement. Le chapitre portant sur une « Approche comparée des politiques européennes et américaine de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent », rédigé par Bérengère Rouppert et Antonin Tisseron, montre comment durant des années, une intervention multiforme de ces puissances qui engageaient des financements importants (des centaines de millions de dollars) n’a pu réellement bénéficier aux démunis ni empêcher le pays de s’enfoncer dans la crise. Des négociations en sont à l’état préliminaire, mais avec quels partenaires devront-elles se poursuivre ? Significative est d’ailleurs cette réaction du maire d’une petite commune cité par Ch. Grémont : « Les responsables de base, les chefs de village et de fraction n’ont jamais été associés à aucune négociation. Les groupes de rebelles, ils prennent leurs fusils, ils viennent, menacent et ensuite ils négocient avec l’État ! Personne ne va négocier à notre place ! Personne ! C’est terminé » (p. 120). Les graves affrontements qui en mai 2014 encore ont opposé à Kidal l’Armée malienne aux troupes du MNLA, indiquent cependant combien ces négociations ont encore quelque mal à s’enclencher ! Par ailleurs, le risque sécuritaire suscité par l’islamisme violent, le grand banditisme et les narcotrafiquants continue à peser sur toute la région du Sahel au Sahara et aux confins du Maghreb, et en plus des États concernés des organisations telles le CEMOC, la CEDAO, l’Union africaine (U.A), et pourquoi pas l’UMA doivent se considérer comme particulièrement impliquées dans la lutte contre un pareil fléau.
Notes
[1] Ce à quoi il faudra ajouter des financements probables venus de pays du Golfe.
[2] Le capitaine Amadou Haya Songo, à l’origine du putsch de mars 2012, a lui-même bénéficié d’une formation militaire aux États-Unis.
[3] L’Armée mauritanienne à l’origine de différentes incursions au Mali pour poursuivre les groupes terroristes avait même eu des doutes quant à des fuites provenant de militaires maliens comme ce fût le cas en 2011, lors d’un raid dans la forêt de Wagadou.
[4] Misma, Mission internationale de soutien au Mali, qui cèdera la place le 1er juillet 2013 à la Minusma, Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali.
6 Au mois de février 2014, les autorités nigériennes ont encore manifesté leur inquiétude en demandant aux Français de revenir terminer « leur œuvre » en Libye pour mettre fin à l’anarchie sévissant dans le Sud du pays, transformé en sanctuaire djihadiste.
7 Dans le cadre entre autres du TSCTP parrainé par les Américains et du CEMOC, dont le siège est à Tamanrasset en Algérie.
8 C’est le cas notamment lorsque l’auteure avance des données chiffrées concernant les services de sécurité.
9 Le MUJAO a notamment pris en otages dans un camp de réfugiés sahraouis, des travailleurs humanitaires étrangers, et des diplomates algériens au Mali.
10 L’Algérie partage 1559 km de frontière avec le Maroc, 42 km avec le Sahara occidental, 463 km avec la Mauritanie, 1376 km avec le Mali, 956 km avec le Niger, 982 km avec la Libye, et enfin 965 km avec la Tunisie.
11 En novembre 2009, selon un câblage de Wikileaks, ATT reconnaissait ainsi devant le général Ward, commandant américain de l’AFRICACOM, à propos du refus d’intervention des Algériens : « Les Algériens pensent que nous ne faisons rien et ils n’ont pas tout à fait tort » (voir p. 51).
Auteur
Hassan Remaoun
Pagination
16 - 17
Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres
Volume 10, n°02 - Septembre 2014.