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Quelle place pour le sport dans l’identité africaine ?

Sports, identités culturelles et développement en Afrique noire francophone, la sociologie des jeux traditionnels et du sport moderne au Congo-Brazzaville,

Par Joseph Bouzoungoula,

Édition l’Harmattan, Paris, 2012, 200 pages, ISBN : 978-2-336-00439-6, Prix 20 Euros.

Bien que cet ouvrage soit pré­senté d’emblée comme ina­chevé, il propose un certain nombre d’analyses et de réflexions sur l’organisation du sport moderne en Afrique noire en général, et au Congo Brazzaville en particulier. S’appuyant sur une approche so­cio-historique, l’auteur y analyse également l’évolution organisation­nelle du sport et des pratiques cor­porelles traditionnelles de la période coloniale jusqu’à nos jours.

 Considérées comme héritage colonial, c’est à 1884 que remontent les premières activités sportives au Congo Brazzaville introduites par les commerçants et marins européens. Mais il ne faut pas oublier qu’avant cela, il existait des formes de jeux corporels traditionnels propres aux habitants de la région et à leur identité culturelle. Ces derniers, qui prennent leurs sources dans les racines proprement africaines, permettent la découverte d’un ensemble de valeurs morales (traditionnelles) spécifiques aux capacités organisationnelles des habitants de la région.

La puissance colonisatrice, par l’intermédiaire des administrations, des colons et des missionnaires, a tenté d’imposer son type de civilisation dans tous les domaines de la vie, et en particulier dans celui du sport et de l’éducation physique1. Si par exemple, les militaires (et colons) ont introduit le sport comme loisir (et entraînement), les maîtres et les missionnaires, dans une action destinée à transformer la société locale, voulaient éduquer par l’Éducation physique et sportive (EPS). Nous pouvons dire que la pénétration du sport a surtout été favorisée par le système scolaire (au début du XXème siècle), alors que les jeux corporels non traditionnels, jugés en marge de la modernité (par le système colonial), ne pouvaient être enseignés ou transmis par l’école.

Le sport moderne fut un vecteur efficace de transmission des valeurs culturelles du colon qui exerçait une politique de domination et d’assimilation des indigènes en vue de les «  civiliser » et les intégrer dans la vie moderne ou occidentale. Dans ce cadre, la France a appliqué une politique d’organisation en matière de sport et d’éducation physique qui était assimilable à une mission civilisatrice appliquée dans toutes les colonies de l’époque dites de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F.) et l’Afrique Occidentale Française (A.O.F.), sans tenir compte des réalités endogènes à caractère culturel de chaque pays assujetti.

S’il n’y a pas de doute ici que le sport tel qu’il est pratiqué aujourd’hui est un apport colonial, nous pouvons voir néanmoins qu’en tant qu’instrument dominant du colon, ce dernier n’a pas pris en compte les réalités culturelles locales (jeux corporels traditionnels), autrefois accessibles à toutes les couches sociales locales, et comme l’a noté Gouda: « Cette civilisation a opéré et agit comme si ces sociétés étaient sans passé, sans histoire, sans personnalité ni identité »2.

Le déploiement du sport a occasionné l’érosion des pratiques corporelles et leur non-intégration dans les différents plans d’épanouissement du sport institutionnalisé entrainant leur relégation. Les pratiques physiques traditionnelles, pendant et après la période coloniale, sont liées à d’autres évènements de la vie clanique : cérémonies, fêtes, initiations, jeux, loisirs, chasses et même guerres. Elles sont restées l’apanage des groupes sociaux non-urbanisés.

À l’accession de son indépendance, acquise le 15 Août 1960, le Congo Brazzaville commence à adhérer aux organismes sportifs internationaux afin d’exprimer sa souveraineté (identité, maturité, …). Commencent alors à paraître, à partir de 1960, des textes règlementaires concernant l’éducation physique et le sport. Pour son rayonnement florissant sur le plan international, le pays va imiter l’organisation du sport faite pour un autre peuple, une autre culture, une autre économie, et butera sur des difficultés économiques importantes qui marqueront sa vie sociale et économique, laissant émerger la pratique du sport dans des installations toujours « archaïques » et insuffisantes.

Le sport s’organise alors en fédérations et associations sportives (au nombre de vingt-trois en 2008). Par ailleurs, depuis sa création, le ministère des sports a fait l’objet de quarante et un remaniements en 50 ans (de 1958 à 2008), avec changement de ministres et de dénomination du ministère3.

Le sport, considéré comme un des ferments possibles de la création du sentiment national communautaire, devait incarner des valeurs identitaires et participer ainsi à la naissance de la nation4 en créant une mémoire collective à travers des victoires au niveau international.

Les jeux traditionnels tels « le kongo », « le Mpongo » et autres sont revalorisés et érigés en fédérations de jeux traditionnels au début des années 1970. Sachant que les jeux traditionnels jouent une fonction importante pour le travail en équipe, l’apprentissage de la vie en société, la notion de compétition, le dialogue, le respect des règles, la différence des sexes, voire la conservation des valeurs traditionnelles. A peu près au même moment (1972), le football a commencé à péricliter, alors que ce sport très populaire était qualifié par les anciens de « jeu des paresseux », du fait qu’il prenait trop de place dans les rythmes sociaux et éloignait les jeunes générations de la vie traditionnelle faite de cueillette, de chasse, de danse, de travail de la terre…

Notes

  1. Voir Gouda S., Analyse organisationnelle des activités physiques et sportives dans un pays d’Afrique noire: le Bénin, thèse de doctorat du 3éme cycle Université Joseph Fourrier, Grenoble, 1986.
  2. Ibid.
  3. Voir, page 134.
  4. Voir, page 169.

Auteur 

Rehail Tayeb

Pagination 

20

Africa Review of Books/ Revue Africaine des Livres

Volume 11,N°01 - Mars 2015

 

 

 

 

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