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Les Mécanismes De L’exclusion Des Tutsi

Imibereho y’Abatutsi kuri Republika ya mbere n’iya kabiri (1959-1990),
par Antoine Mugera Les Éditions rwandaises, 2004, 445 pp., 10.000 Frw (US$ 16).
 
Dans toute la littérature qui a marqué la 10ème commémoration du génocide des Tutsi de 1994, un livre mérite une attention spéciale : celui que Antoine Mugera a publié en langue nationale (le kinyarwanda) en mars 2004 sur les conditions de vie des Tutsi sous la 1ère et la 2ème république. À première vue, ce livre, écrit dans un style simple et accessible, n’affiche pas une grande ambition analytique et théorique. Sa démarche se veut inductive, ce qui fait son originalité par rapport aux écrits récents sur ce thème, faisant parler les faits que l’auteur a sélectionnés avec beaucoup de soin. Contrairement à ce que peut suggérer le titre de ce livre, il n’est pas l’œuvre d’un propagandiste de la cause tutsi, aigri et assoiffé de vengeance. C’est le produit d’un observateur patient qui a recueilli des informations pertinentes sur des réalités rwandaises, un collectionneur de documents inédits et de témoignages oculaires1 qu’il a su bien exploiter. Le livre est divisé en cinq grands chapitres qui correspondent plus ou moins à cinq étapes importantes de l’histoire de l’exclusion des Tutsi.
L’ouragan de 1959-1961
La campagne déclenchée pour brûler les maisons des Tutsi, de les tuer et de piller leurs biens qui a commencé le 2 novembre 1959 constitue, pour l’auteur (A.), le début du processus de l’exclusion des Tutsi. On a appelé ces événements d’abord « muyaga » (ouragan), ensuite « révolution » (revolusiyo) ; l’A. préfère le premier terme qui a l’avantage de rester neutre dans la nomination des faits.
 
Ce sont les partis politiques, agréés pour la plupart d’entre eux en septembre 19592, qui sont à l’origine de « muyaga ». Leurs meetings et campagne de recrutement des sympathisants ou membres se sont déroulés dans un climat de concurrence effrénée, avec des propos injurieux et plusieurs incidents d’affrontements entre les membres. De plus, plusieurs tracts circulaient tantôt pour menacer les partisans et les leaders des partis hutu (Aprosoma et Parmehutu), considérés comme « les ennemis », « les traîtres » du pays et du roi, tantôt pour s’en prendre au parti Unar et à la monarchie.
 
Ainsi l’incident de l’agression dont le sous-chef D. Mbonyumutwa, un leader du Parmehutu du Ndiza (Gitarama), fut la victime3, le 1er novembre 1959, et qui est considéré comme l’occasion incident qui a déclenché «muyaga», a été précédé par beaucoup d’autres incidents du même type. Il n’était pas le seul sous-chef frappé ou agressé dans ces conditions. La question est de savoir pourquoi à Gitarama cet incident a donné lieu à l’éclatement. Le niveau de politisation résultante de l’action combinée des missionnaires catholiques (surtout Mgr Perraudin) et des leaders du parti Parmehutu peut expliquer cette évolution4.
 
Muyaga fut, dans un premier temps, un mouvement de chasse aux Tutsi, anciens auxiliaires de l’administration coloniale belge et simples gens. Dans beaucoup d’endroits5, les Tutsi et les Hutu non encore acquis à l’idéologie de la haine propagée par le Parmehutu et l’Aprosoma, se sont regroupés sous le commandement de leurs chefs ou sous-chefs pour se défendre. Ensemble ils ont repoussé les groupes incen- diaires ou mené des représailles. C’est un signe qu’au début, les consciences ethniques n’étaient pas encore exacerbées. Dans les territoires de Ruhengeri et Byumba, les sympathisants du Parmehutu ont incendié, chassé les Tutsi et pillé leurs biens parce que, disaient-ils, c’est un ordre du roi (p.43). Participer à ces exactions était appelé « travailler », terme qui sera utilisé durant le génocide. À partir du 7 novembre, les armées du roi et les Unaristes ont mené des représailles, depuis Nyanza vers le sud6, contre les sympathisants et les leaders des partis hutu (Aproma et Parmehutu). Ils ont été arrêtés par les soldats belges. L’administration coloniale est restée à l’écart de ces violences, comme si elle attendait de voir vers quel côté la situation allait évoluer pour se prononcer. Une semaine après le début de la révolte (7/11/ 59), le vice-gouverneur J.P. Harroy a mis en place un régime d’exception, avec des pouvoirs étendus confiés à Logiest, jusquelà responsable militaire de la région de l’est du Congo belge et du Ruanda-Urundi. Son action fut déterminante7.
 
Après un moment d’accalmie, les violences ont repris en mars 1960, pendant le séjour des émissaires de l’Onu au Rwanda. Logiest s’en est expliqué en disant qu’il ne pouvait rien faire parce qu’il avait été mis devant le fait accompli. Les violences n’ont pas cessé pendant les élections de juin et juillet, au cours desquelles on devait élire
les conseillers communaux qui, à leur tour, devaient choisir entre eux des bourgmestres. Le parti Unar a donné la consigne de boycott à ses sympathisants. C’est la raison pour laquelle il a obtenu peu de conseillers 56 (sur 3125 des élus) et un seul bourgmestre. Après les élections, la chasse aux Tutsi a continué jusqu’à la fin de l’année 1960. Entre temps, le Parmehutu avait renforcé ses positions. En plus de l’administration locale (les bourgmestres et les conseillers), il contrôlait le gouvernement transitoire et l’Assemblée nationale de transition. C’est ce gouvernement qui, aidé par les Belges, a perpétré le coup d’État de Gitarama en proclamant la république, le 28 janvier 1961. Les observateurs avisés ont fait remarquer que le gouvernement a fait un coup d’État contre lui-même puisqu’il n’avait plus de concurrent.
 
La situation interne a continué à se dégrader pendant l’année 1961 à cause des attaques des inyenzi et la répression contre les Tutsi qui ont suivi ces attaques, notamment durant le mois de mars dans les territoires de Byumba, de Cyangugu et de Kibuye.
 
Selon l’A., les causes de « muyaga » sont à chercher dans le plan de décolonisation élaboré par Logiest et Harroy. Pour lui, les Belges n’étaient pas opposés à l’indépendance. Ils voulaient un régime qui sauvegarde leurs intérêts au Rwanda et surtout au Congo belge. Ce programme n’a pas plu à leurs anciens auxiliaires, les élites tutsies, regroupées au sein de l’Unar. Pour réaliser ce plan, les Belges ont d’abord identifié les forces de leurs principaux adversaires, à savoir : le roi accepté par tous les Rwandais, le contrôle de l’administration (40 chefs sur 45 étaient des unaristes), une grande popularité de l’Unar parmi les Rwandais non encore acquis au virus de la division ethnique, le discours anti-colonial de l’Unar bien reçu par beaucoup de pays du Tiers-Monde au sein de l’ONU.
 
L’exécution de ce plan a tenu compte de cette analyse. En effet, Logiest a neutralisé le roi Kigeli V Ndahindurwa jusqu’à le forcer à l’exil ; il a remplacé les chefs et sous-chefs tutsi par les propagandistes du Parmehutu ; il a semé la division parmi la population en se basant sur les ethnies, d’où l’appui accordé aux partis (Parmehutu et Aprosoma) qui mettait l’antagonisme hutu-tutsi au centre de leurs discours.
 
L’A. essaie de répondre à la question que l’on se pose souvent : en 1959, les Belges avaient-ils un plan pour opérer un génocide contre les Tutsi ? Il y répond par la négation. Car, dit-il, si l’on considère l’évolution des événements, comment les Tutsi partaient au grand jour sans être tués, comment ils étaient déplacés d’une région à une autre par les moyens de l’État et même aidés à passer les frontières limitrophes, on peut dire que les Belges n’avaient pas ce plan. Ils voulaient simplement casser les bases populaires de l’Unari. Par contre, les leaders hutu disaient publiquement que si les Tutsi continuaient à s’opposer à leur accès au pouvoir, ils pouvaient les exterminer. Ces propos ont été tenus par le leader de l’Aprosoma, J. Gitera, dans un meeting à Butare le 27 septembre 1959 et par Gr. Kayibanda en 1959 et en 1963.
Le problème des réfugiés rwandais (1959-1973)
En 1959-1973, les Tutsi ne fuyaient pas la démocratie, comme cela a été dit par les propagandistes du Parmehutu, mais parce qu’ils devaient sauver leurs vies. Généralement ils se dirigeaient vers les missions, les établissements scolaires et d’autres endroits qui pouvaient les héberger. Certains ont préféré quitter aussitôt le pays et chercher asile dans les pays limitrophes.
 
La présence des déplacés gênait beaucoup le gouvernement belge. Ceci d’autant plus que des émissaires de l’ONU étaient présents dans le pays et que, dans ses déclarations, l’Unar disait que le gouvernement belge ne voulait pas que les déplacés rentrent chez eux. C’est la raison pour laquelle Logiest a mené une vaste campagne pour obliger les déplacés à rentrer chez eux, même s’ils couraient le risque d’être chassés de nouveau. Ceux qui étaient considérés toujours comme « indésirables » chez eux ont été installés dans d’autres endroits. L’État a même mobilisé des camions pour ceux qui voulaient aller à l’étranger. En 1962, ces derniers étaient estimés à 150 000 personnes, chiffre qui n’a cessé d’augmenter. La politique qui consiste à chasser les déplacés de leurs lieux de refuge a été systématiquement menée dans tout le pays. En mars 19628, plus de 78 000 personnes avaient été obligées de quitter
les lieux de refuge.
 
Ceux qui sont revenus chez eux n’ont pas retrouvé nécessairement leurs biens, accaparés illégalement par les bourgmestres et les amis de ces derniers. C’est la raison pour laquelle ces biens ont été à l’origine de plusieurs conflits et procès9. En 1966, le président Kayibanda a interdit aux réfugiés de réclamer leurs biens. En 1975, le gouvernement de Habyarimana a décrété que les biens abandonnés par les Tutsi appartenaient désormais à l’État. Les dignitaires qui les avaient accaparés ne voulaient pas s’en départir.
 
Les réfugiés ont toujours essayé de rentrer, mais seul un petit nombre y est parvenu après avoir enduré beaucoup d’épreuves de la part des services de sécurité et de l’administration préfectorale et communale. Les premières réglementations sur le retour des réfugiés datent de 1966. Elles spécifiaient les documents que les personnes qui rentraient au pays devaient posséder, à savoir la carte d’identité, les documents accordés par le gouvernement du pays d’asile et les papiers délivrés par le HCR. À cela s’ajoutait le rapport dressé sur ces personnes par le préfet : date de départ du Rwanda, les pays dans lesquels elles ont résidé, les membres de leur famille, le poste d’entrée au Rwanda, etc. C’est le préfet qui donnait la carte d’identité provisoire et qui indiquait le lieu d’habitation. Ces personnes ne pouvaient pas aller dans une autre commune sans autorisation préalable du préfet. Un rapport mensuel sur leurs faits et gestes, les visiteurs qu’elles ont reçus, etc., était adressé par les bourgmestres au ministre de l’Intérieur, celui de la Défense et à la police. Les bourgmestres avaient pour mission de surveiller aussi les familles qui les recevaient parce que, disait le ministre de la Défense, les réfugiés étaient des espions qui travaillaient pour les inyenzi. La méfiance était totale à leur égard.
 
Les réfugiés étaient considérés comme des êtres fondamentalement mauvais. Ceux qui étaient partis en 1959 étaient pires que les autres : il y avait une gradation dans la méchanceté des réfugiés (p.102). C’est pourquoi héberger les réfugiés qui rentraient était considéré comme une faute grave de complicité avec l’ennemi. Malgré cette méfiance et cette surveillance des réfugiés qui sont retournés au pays, beaucoup de Rwandais prenaient des risques et traversaient la frontière pour ravitailler leurs frères, amis ou voisins vivant dans les pays limitrophes. Ceci contredit la thèse selon laquelle l’antagonisme ethnique entre Hutu et Tutsi est héréditaire. C’est un produit de l’histoire récente.
Alors que le gouvernement rwandais avait demandé depuis 1964 que les réfugiés soient installés dans les pays d’asile, il n’a rien fait pour les y aider. Au contraire, toute sa politique a consisté à leur rendre la vie difficile dans ces pays. Les ambassades du Rwanda avaient pour mission de surveiller de près les réfugiés dans les pays d’asile : l’A. cite beaucoup de cas tirés des rapports des ambassadeurs de Kinshasa, Bujumbura, Kampala.
 
Des réfugiés recherchés par le gouvernement de Kigali furent capturés et emprisonnés ; certains furent tués. En 1982, 60 000 réfugiés furent envoyés de force au Rwanda par le gouvernement d’Obote. Le gouvernement rwandais n’a accepté que 1026 qui, d’après ses propres critères, remplissaient les conditions d’être Rwandais. Le gouvernement de Kigali a aussi fomenté la division parmi les réfugiés ou les a opposés aux populations indigènes. À cet effet, il a soutenu des associations qui luttaient contre les Tutsi dans les pays limitrophes comme Magrivi10 dans le nord Kivu et Abanyarwanda-Bahutu Association en Ouganda.
 
Pour régler définitivement la question des réfugiés J.Habyarimana a entamé des négociations avec l’Ouganda, en juillet 1974, mais elles n’ont abouti à aucun résultat. En 1982, J.Habyarimana est revenu sur l’idée que les réfugiés devaient être installés là où ils sont, car le Rwanda est occupé à 100 % et n’a plus de terre11. En 1986, le comité central du parti unique, le MRND, est revenu sur la question en proposant la naturalisation des réfugiés. Jusqu’en 1990, la classe politique ne considérait plus les réfugiés comme des Rwandais. En les empêchant de rentrer et en les déstabilisant là où ils avaient demandé refuge, Kigal voulait qu’ils meurent dans l’extrême pauvreté et disparaissent totalement.
L’opposition armée (1961-1968)
Ce chapitre qui traite de l’opposition armée menée par les inyenzi (cancrelats) fournit beaucoup d’informations inédites sur ce mouvement : son origine, les objectifs qu’il poursuivait, les opérations militaires et leurs conséquences sur les conditions de vie des Tutsi ainsi que les raisons de son échec.
 
L’origine du terme « inyenzi » est difficile à préciser. Les anciens inyenzi ne sont pas d’accord sur ce sujet. De plus, avant que le terme « inyenzi » ne s’impose, d’autres groupes aux noms différents ont existé12.
 
L’idée de la création d’une armée est née chez les jeunes réfugiés à Kizinga et à Kamwege, en Ouganda, près de la frontière rwandaise, en 1960. Leur objectif était de lutter contre les Belges et les nouveaux dirigeants du Parmehutu. Face à l’échec de l’Unar pour convaincre la communauté internationale à changer le cours des événements au Rwanda, ces jeunes réfugiés ont jugé qu’il n’y avait plus d’alternative sinon prendre les armes. Ce n’est pas l’Unar qui a créé les inyenzi. Au moment de sa création, le leadership de l’aile externe de l’Unar était occupé aux activités diplomatiques auprès de l’Onu. Les leaders de l’Unar qui, comme Fr. Rukeba, ont rejoint le mouvement des inyenzi, l’ont fait à titre personnel, ils n’ont jamais reçu l’approbation du parti. Dès sa naissance, le mouvement des inyenzi était composé de différents groupes, nés à des dates différentes dans les pays limitrophes du Rwanda : Ouganda, Burundi, Congo et Tanzanie.
 
L’A. distingue trois types d’attaques menées par les inyenzi. Il y a eu des actions de type commando qui ont engagé peu de combattants et qui ont ciblé des objectifs situés à l’intérieur du pays. Ce fut le cas de l’attaque du 21 décembre 1961 qui, venue de l’Ouganda via Kinigi, a ciblé des individus dans les territoires de Ruhengeri, Kigali et Gitarama. En avril 1962, une autre attaque est venue également de l’Uganda et a fait de même dans les localités situées à l’est du pays.
 
Il y a eu aussi de petites attaques le long des frontières depuis 1961, surtout dans la préfecture de Byumba : l’A. a fait l’inventaire d’une vingtaine d’attaques de ce type en 1961-1962. Mais toutes ces attaques n’étaient pas nécessairement dirigées par des inyenzi : des groupes d’ndividus ont fait des incursions dans le pays pour voler du bétail ou de l’argent. Le livre donne pour la première fois les dates, les endroits où ces attaques ont eu lieu, les chefs qui les dirigeaient ainsi que les noms et le nombre des victimes. C’est dans le territoire de Byumba que des représailles contre les Tutsi après une attaque des inyenzi ont été menées pour la première fois par le gouvernement rwandais. En mars 1962, un millier de Tutsi et de membres hutu de l’Unar furent tués dans ces conditions. C’est aussi en ce moment-là que fut développée et expérimentée par le ministère de l’Intérieur et la Garde nationale l’idée de l’autodéfense de la population. Cela s’est traduit par des ordres donnés à la population de dénoncer tout suspect et d’organiser des rondes nocturnes. Des armes à feu ont été également distribuées à quelques individus habitant près de la frontière. Ces pratiques se sont répétées jusqu’en 1994.
 
Les grandes attaques qui ont engagé un grand nombre de combattants avaient pour objectif d’acquérir un espace à partir duquel les inyenzi pouvaient mener d’autres opérations et ainsi exercer des pressions sur le gouvernement rwandais. Parmi les attaques de ce type, il y a eu d’abord l’attaque dans les Volcans (nord-ouest) qui a débuté dans la nuit du 3 au 4 juillet 1962, soit deux jours après l’indépendance. Cette attaque est partie de Goma et impliquait environ 80 à 100 inyenzi. Le gouvernement de Kigali était au courant. Les assaillants ont été surpris par les soldats du gouvernement rwandais, le 5 juillet, et battus sans difficulté, avec beaucoup de combattants morts sur le champ de bataille. Parmi les inyenzi faits prisonniers, 4 furent exécutés à Ruhengeri.
               
L’autre grande attaque est celle qui a eu lieu le 21 décembre 1963 dans le Bugesera. Elle est venue du Burundi, via Nemba (Kirundo). Après quelques succès, les inyenzi ont été stoppés et battus par la Garde nationale commandée par deux officiers belges (Dubois et Florquin) à quelques kilomètres de la capitale.
 
Comme dans le précédent cas, le gouvernement rwandais était au courant de l’imminence de l’attaque. Les informations lui parvenaient de différentes sources. Les inyenzi ne cachaient pas leur plan ; ils en parlaient dans les bars de Bujumbura, certains allaient même dire au revoir à leurs familles. Les conseillers militaires belges qui encadraient les militaires burundais informaient Kigali, où les services de sécurité étaient dirigés par un militaire belge, le Major Tulpin. Certains militaires burundais hutu, des privés (commerçants, religieux, etc.) et même les réfugiés eux-mêmes étaient aussi parmi les informateurs du gouvernement rwandais. Ainsi, au moment de l’attaque, la liste de ceux qui devaient être exécutés ou emprisonnés était déjà constituée.
 
L’attaque du Bugesera (1963-1964) a eu beaucoup de répercussions négatives sur les Tutsi de l’intérieur. Dans toutes les préfectures, une vaste campagne de répression contre les Tutsi de tous les âges fut orchestrée par le gouvernement et l’administration locale. L’A. cite beaucoup des documents des agents administratifs qui font état de l’existence des ordres donnés dans ce sens. Il y eut beaucoup de morts, d’arrestations, de maisons brûlées, de biens volés, etc. Tout responsable, à n’importe quel niveau, pouvait arrêter les Tutsi et en faire ce qu’il voulait sans être inquiété (p.161). Des ministres furent envoyés dans les préfectures pour superviser cette opération.
 
La répression s’est étendue sur tout le pays. Parmi les régions les plus touchées, il y a évidemment le Bugesera. Comme partout ailleurs, les autorités administratives ont établi des listes des Tutsi considérés comme « mauvais » ou « indésirables » par la population. Généralement, il s’agissait de moniteurs, d’anciens chefs et sous-chefs, de commerçants, etc13. Après les représailles, le gouvernement a installé des familles hutu venues d’autres régions (surtout Ruhengeri et Gisenyi) dans le Bugesera pour endiguer les attaques des inyenzi et contrôler les survivants.
 
La préfecture de Gikongoro a connu le même sort. C’est ici qu’il y a eu le plus de morts, huit à dix mille environ. Un missionnaire catholique qui était dans une paroisse de la région a dit à ce propos : « Le massacre semble avoir été organisé par le gouvernement de la République lui-même et a été peutêtre la page la plus sinistre du gouvernement de Kayibanda »14. Le préfet qui a coordonné ces opérations a gagné les élections législatives dans sa circonscription à cause de ses prestations pendant cette période.
 
L’auteur estime le chiffre total de toutes les victimes à 25 000 et 35 000 morts environ. Des observateurs étrangers (le Suisse Vuillemin et le Belge Luc De Heusch) et même Radio Vatican ont parlé de « génocide ».
 
Aucun responsable politique, administratif ou militaire n’a été poursuivi pour la mort des Tutsi. Le gouvernement se disculpait en disant que la répression a été menée par les responsables à la base, les députés et les fonctionnaires de l’État. Leur comportement était dû, dit-il, à la peur — parmi les Tutsi, surtout les fonctionnaires, il y avait des complices des inyenzi (cependant aucune preuve ne fut apportée) — et à la méchanceté des Tutsi à l’égard des Hutu pendant qu’ils étaient au pouvoir15, comme si tous les Tutsi avaient participé à l’exercice du pouvoir. Après l’attaque de Bugesera, le président Kayibanda a mis en garde les inyenzi en leur disant que, s’ils répètent le coup, « ce serait la fin totale et précipitée de la race tutsi ».
 
Les dernières grandes attaques des inyenzi, après celle du Bugesera, ont eu lieu dans la préfecture de Cyangugu (Bugarama en 1964, Nshili et Bweyeye en 1966) et dans la préfecture de Kibungo (Butama en 1966). Depuis 1967, il n’y a plus eu d’attaques des inyenzi. Mais jusqu’en 1972, il y avait toujours des rumeurs sur leurs attaques éventuelles, alors que le gouvernement savait bien que le mouvement de ces derniers s’était effrité.
 
Les raisons de la défaite des Inyenzi sont nombreuses. L’A. cite les plus importantes. La première est le manque d’un leadership unifié et d’une ligne politique claire. Les Inyenzi ne sont pas issus de l’Unar. Ce parti, divisé en ailes interne et externe, n’avait plus le monopole politique dans les milieux des réfugiés depuis l’apparition de nouveaux partis politiques16. Le roi Kigeli V n’a jamais été le chef des Inyenzi, bien que des groupes se réclamaient de lui. Les Inyenzi n’avait pas une même compréhension du rôle de la monarchie : certains avaient opté pour la république.
 
La deuxième raison est que les Inyenzi n’étaient pas une formation militaire unique, mais des groupes éparpillés avec leurs chefs propres (Mudandi, Ngurumbe, Kayitare, Sebyeza, Hamud).
 
La troisième raison est que les inyenzi n’ont jamais eu un équipement militaire suffisant, à part celui qu’ils avaient pu obtenir du Congo belge. Aucun pays n’a fourni à ce mouvement une aide militaire. Le Burundi hébergeait le mouvement, le laissait recruter et s’entraîner, mais il ne lui fournissait pas des armes. Quant à l’Ouganda, depuis 1962, le gouvernement d’Obote avait mis en garde les inyenzi d’attaquer le Rwanda à partir de son territoire. Il a même chassé quelques leaders unaristes dont Kigeli (en août 1963). Le président Mobutu luttait contre les inyenzi parce qu’ils soutenaient les Mulelistes. Les réfugiés rwandais furent victimes des violences dans les villes de Goma et de Bukavu. En 1964, environ 800 réfugiés rwandais furent expulsés de Goma et furent installés en Tanzanie. Avant son indépendance, la Tanzanie a collaboré avec le gouvernement rwandais : son gouvernement a extradé des inyenzi recherchés par Kigali. Après l’indépendance, le gouvernement tanzanien a aidé les leaders de l’Unar en les logeant, en leur facilitant leurs déplacements et en envoyant quelques jeunes à l’étranger pour l’entraînement militaire.
 
Enfin, il y a eu des conflits et une mésentente entre les chefs militaires des Inyenzi lors des opérations. C’est ce qui est arrivé entre Mudandi et Ngurumbe lors des attaques de Nshili et Bweyeye. Mudandi a décroché sans aviser au préalable ses frères d’armes.
Les massacres des Tutsi dans les années 1972-73
L’opposition armée et les campagnes de répression contre les Tutsi cachaient les contradictions internes du gouvernement de Kayibanda. Lorsque cette opposition armée a disparu, ces contradictions se sont manifestées au grand jour. C’est le rapport élaboré par une commission ad hoc (de 6 députés) de l’Assemblée nationale, en 1968, qui a mis au grand jour les maux dont souffrait le régime. Le bilan établi par la commission était alarmant : partout le leadership du parti Parmehutu était divisé entre les anciens et les nouveaux responsables politiques et administratifs. Les auteurs de ce rapport et leurs sympathisants (14 députés) ont été sanctionnés, accusés de déviationnisme. En outre, le régime était miné par le régionalisme qui opposait le Nord et le Centre. Pour avoir dénoncé ce régionalisme, le mensuel catholique Kinyamateka a été sanctionné. Son rédacteur en chef, le Père Maida, a été expulsé, un journaliste rwandais a été emprisonné et le mensuel a été suspendu pendant quelques mois.
 
Ces conflits qui déchiraient la classe politique furent exacerbés par le plan du président Kayibanda de se faire proclamer président à vie. Ses discours « socialisants » lui ont aliéné l’appui dont il bénéficiait auprès des étrangers, surtout les missionnaires catholiques.
 
C’est pour reprendre l’initiative que le président Kayibanda a réuni, en 1972, ses amis les plus proches pour mettre au point un plan de diversion. Ce plan consistait à chasser les Tutsi des écoles et des instituts supérieurs, et des établissements publics, para-publics et privés. C’était, disait-on, l’accomplissement de la révolution de 1959, un slogan qui sera repris par la CDR avant et pendant le génocide de 1994.
 
À cet effet, Kayibanda et ses amis ont mis en place les « comités du salut public » pour l’exécution de ce plan. Les membres de ce comité comprenaient les agents administratifs, les préfets qui en étaient les responsables au niveau de la préfecture, les agents de la sécurité et les responsables de l’armée. La crise au Burundi, qui a débuté le 29 avril 1972, a été une occasion et un prétexte pour Kayibanda de réaliser son projet. Tentative unique jusqu’à présent, l’A. a essayé d’établir la chronologie des événements et l’inventaire des noms des élèves/étudiants et des fonctionnaires chassés dans toutes les préfectures17.
 
Les massacres des Tutsi en 1972-73 ont été préparés et coordonnés par le gouvernement de Kayibanda. Les preuves sont nombreuses ; les plus importantes sont les suivantes : les affichages des listes des fonctionnaires tutsi «indésirables» ont eu lieu à la même date, dans la nuit du 26 au 27 février 1973 ; l’ordre de quitter l’établissement était formulé partout de la même manière ; aucune préfecture n’a été épargnée et toute la population tutsi a été touchée ; aucun responsable du gouvernement, d’une école, d’un établissement étatique ou paraétatique n’a désapprouvé cet acte : tout le monde a gardé le silence.
 
L’argument développé par le gouvernement et ses sympathisants consiste à dire que les Hutu ne pouvaient plus supporter d’êtres minoritaires dans les écoles et les établissements publics, parapublics et privés alors qu’ils sont majoritaires au point de vue démographique. Pourtant, selon une recherche faite par le ministère de l’Enseignement secondaire et supérieur, les élèves tutsi dans les écoles secondaires étaient passés de 36,3 % en 1962-1963 à 11 % en 1972-1973. Dans les instituts supérieurs, les étudiants tutsi représentaient 8,5 % à l’UNR, 6 % à l’IPN et 3 % des étudiants basés à l’étranger. Les chiffres avancés pendant cette persécution (selon lesquels les élèves tutsi seraient entre 50 % et 70 %) étaient fantaisistes et ne correspondaient pas à la réalité.
 
Les véritables causes des événements de 1972-73 sont internes au régime de Kayibanda. En les provoquant, il voulait reconstituer l’unité de son parti, le Parmehutu. Les Tutsi, présentés comme les véritables ennemis des Bahutu, n’étaient que des boucs émissaires. Il faut noter que beaucoup de jeunes actifs pendant ces évènements ont fait preuve du même enthousiasme de tuer les Tutsi pendant le génocide de 1994.
 
Les événements de 1972-73 ont donné lieu au coup d’État du 5 juillet 1973, perpétré par le ministre de la Défense, J.Habyarimana. Le groupe des nordistes qu’il représentait, très influent dans l’armée, n’a pas voulu que les amis de Kayibada contrôlent les opérations de la chasse aux Tutsi. Certains auteurs ont développé la thèse selon laquelle les militaires ne soutenaient pas cette chasse. Selon l’A., le commandement militaire savait tout et il était engagé dans cette campagne, sinon elle n’aurait pas eu lieu. Les militaires ont pris la direction des opérations à partir du moment où ils ont voulu prendre aussi la direction de tout le pays. Dès la fin février 1973, Kayibanda ne contrôlait plus rien. Il était victime du régionalisme et des divisions au sein de son parti, le Parmehutu. La chasse aux Tutsi ne l’a pas sauvé. Pendant son régime, vivre n’était plus un droit pour les Tutsi, mais une faveur accordée par l’État.
La discrimination et les brimades Quotidiennes
Ce chapitre est aussi original dans la mesure où il entre dans des détails de la vie quotidienne. Les Tutsi ont dû subir république. Les exemples sont nombreux ; le livre donne quatre types d’illustrations.
 
1) Le racisme ethnique. La vision « racialiste » de la société rwandaise s’est imposée et s’est renforcée après l’accès du Parmehutu au pouvoir. Cela s’est traduit de plusieurs manières dans la vie quotidienne, comme par exemple, rechercher et punir les Tutsi qui avaient changé leur ethnie et ceux qui les avaient aidés. Des enquêtes sur l’appartenance ethnique des personnes « douteuses » ont été commanditées et menées. Pourtant, changer l’appartenance ethnique était très courant dans le Rwanda précolonial : la rigidité que l’on constate après l’indépendance n’existait pas, d’autant plus que cela équivalait à une progression ou une régression sociale.
 
2) La discrimination au travail et dans les écoles. La grande majorité des Tutsi restés au pays vivaient de l’agriculture dans les mêmes conditions que leurs collègues paysans hutus. Le petit groupe de fonctionnaires du secteur public et privé, d’élèves et d’étudiants, de religieux et de commerçants, était fortement surveillé par l’administration et les services de sécurité. Tout a été fait pour entraver la promotion sociale des élites tutsies. Les commerçants tutsis devaient avoir nécessairement un protecteur hutu. Les fonctionnaires tutsi du secteur public étaient brimés de plusieurs façons : ils occupaient des postes qui ne correspondaient pas à leur qualification, ils étaient exclus des postes stratégiques (comme la diplomatie, l’armée, l’administration, etc.), on se méfiait d’eux, etc. C’est pour éviter toutes ces tracasseries que les Tutsi faisaient tout pour changer d’appartenance ethni-que sur leurs documents.
 
3) L’application de l’équilibre ethnique et régional. L’idée de l’équilibre est venue des leaders hutu d’avant l’indépendance. Kayibanda et ses collègues visaient les Tutsi. J.Habyarimana a étendu le principe aux Hutu qui n’étaient pas originaires de sa région (Gisenyi). Les premières mesures administratives qui appliquaient l’équilibre ethnique dans les écoles datent de 1971. J.Habyarimana a repris cette idée dans ses discours ; le parti unique, le MRND, a fait de même. Dans les écoles, cette politique a pénalisé des enfants méritants parce qu’ils étaient tutsi ou hutu du Centre et Sud. Elle a favorisé la promotion de la médiocrité et de la corruption dans le système éducationnel,
car les moins méritants étaient promus à partir de critères de sélection arbitraires. Il faut noter que l’application de l’équilibre n’était pas conforme à la théorie. En 1989, la préfecture de Butare qui comptait 12,5 % de la population totale n’a eu droit qu’à 10,40 % des places dans les écoles secondaires, enregistrant un manque à gagner de 140 places. À cause de cette politi-que, le nombre de Tutsi dans l’enseignement secondaire et supérieur n’a cessé de dé-croître18.
 
4) Dans la vie quotidienne, les Tutsi étaient injustement accusés de plusieurs maux. On disait qu’ils méprisaient les Hutu. Beaucoup de Tutsi ont souffert d’emprisonnements arbitraires ou d’ interrogatoires fréquents, de spoliations de leurs biens et de leurs propriétés, de contrôles fréquents pour détecter la littérature « subversive » qu’ils sont supposés détenir ou pour démasquer les complices des Inyenzi. Les femmes et les filles étaient considérées comme des espionnes de leurs frères inyenzi ; pourtant les grands dignitaires n’hésitaient pas à les prendre comme « deuxième bureau ». Les nombreux qualificatifs péjoratifs donnés aux Tutsi par le discours politique et populaire19 soulignent leur méchanceté, leur nocivité, leurs sentiments de domination et leur opposition au régime. Le régime a toujours dénoncé « la tutsi- sation » dans les comporte- ments, c’est-à-dire que les Tutsi avaient leurs manières de penser et de se comporter qui étaient différentes de celles des Hutu. Les principaux leaders hutu (Kayibanda, Gitera et Habyari- mana) ont traité les Tutsi de « fainéants », de « pares- seux ». Pourtant ceux qui ont pu déjouer les mesures de l’équilibre réussissaient autant que les Hutu. Il est cynique de les traiter ainsi tout en leur privant d’écoles et d’emplois. Enfin, les conflits qui opposaient les dignitaires hutu entre eux étaient attribués aux Tutsi intrigants par nature!
 
Après tout cela, on comprend que le génocide de 1994 ne soit pas tombé du ciel. Il y a eu des pratiques et des comportements qui l’ont précédé et qui l’ont favorisé. La participation massive au génocide de 1994 ne peut se comprendre sans connaître ces antécédents. En 1994, on a récolté ce qu’on a semé. Ce fut « un temps présent du passé ». La discrimination et le racisme antitutsi étaient devenus une culture et une politique, acceptées par la population, les victimes elles-mêmes, les leaders religieux, les étrangers vivant au Rwanda et les représentants de la communauté internationale. Ce sont peut-être les mécanismes d’intério-risation de cette idéologie par les masses populaires et par les victimes qui manquent à ce tableau. Mais c’est à d’autres de compléter ce travail en partant de son apport.

notes

1 Je pense aux rapports de la sûreté nationale, aux rapports des préfets et des bourgmestres, à la correspondance interministérielle et aux rapports des ambassadeurs en poste dans différentes capitales (surtout les pays limitrophes).
2 Il s’agit de l’Unar (Union nationale rwandaise), du Rader (Rassemblement démocratique rwandais), du Parme-hutu (Parti du mouvement d’éman-cipation des Hutu) et de l’Aprosoma (Association pour la promotion sociale des masses).
3 La liste des jeunes unaristes qui ont agressé Mbonyumutwa est donnée à la page 31-32.
4 Sur les neuf signataires du Manifeste des Bahutu du 24 mars 1957, un seul est originaire du sud (Butare): les autres résidaient à Kabgayi (Gitarama),
5 Par exemple dans les localités comme Rukoma, Musambira, Bumbogo, Kibuye.
6 Bufundu, Bunyambiriri, Save, Mvejuru
7 Logiest a décrit clairement son action dans ses mémoires
8 Selon Imvaho, no 3.
9 Voir les cas recensés, pp.87-99.
10 . Magrivi = Mutuelle des Agriculteurs des Virunga.
11 Interview dans Courrier Acp-Cee, no 72, marsavril 1982, p.16.
12 Les noms de ces groupes sont: intare, ingwe, ingangura-rugo, imba-ragasa, indamage, urubambyingwe.
13 Voir liste, p.164-165.
14 Il s’agit du Père De Jambline, de la mission Cyanika (p.171).
15 Voir le livre bleu publié par le gouvernement intitulé: Toute la vérité sur terrorisme nyenzi au Rwanda.
16 Par exemple le Front de libération du Rwanda de Gakwaya et Munana, et le Parti socialiste rwandais de Sebyeza.
17 Voir les pp.227-263.
18  Ministère de l’Enseignement primaire et secondaire, «Des disparités ethniques et régionales dans l’ensei-gnement secondaire rwandais, des années 1960 à 1980», Kigali, février 1986 et aussi « Données sur les admissions scolaires publiques et privées, bourses d’études, personnel de l’enseignement durant la période 1981-1985», Kigali 1985.
19 Inyenzi, serpents, unaristes, intrigants, subversifs et féodaux.

Auteur

Paul RUTAYISIRE

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Pages 20-22

Africa Review of Books / Revue Africaine des Livres

Volume 01 N° 02, Septembre 2005

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