Afrique centrale. Crises économiques et mécanismes de survie
Sous la direction de Didier Padika Mukawa et Gérard Tchouassi Codesria, 2005, 343 p., 35,00 USD; Afrique: CFA 12500 ; hors zone CFA 25,00 USD, ISBN : 2-86978-154-7
L’Afrique centrale constitue un ensemble géopolitique évoluant, depuis les indépendances, avec des crises socio-économiques et politiques assez graves, qui affectent aussi bien l’organisation d’espaces nationaux stables et viables que la création d’un espace régional économiquement et politiquement intégré. C’est à l’analyse de ces crises, de leurs déterminants, de leurs conséquences et des réponses qu’elles ont pu suscité qu’est consacré cet ouvrage. L’ouvrage de 343 pages, rassemble 18 contributions, réparties dans trois grands blocs thématiques. Le premier bloc contient 6 chapitres qui traitent des crises et des modes de régulation de l’économie. Le second comprend 7 chapitres parlant de la réforme et des facteurs de reconstruction de l’économie. Le troisième bloc est consacré aux acteurs et mécanismes de survie face à la crise.
Dans cette recension, je me permets de proposer une grille de lecture de l’ensemble des textes en ciblant, au-delà des rubriques pertinentes choisies par les éditeurs, un certain nombre de sujets saillants. Je mets ainsi en lumière tour à tour la question de l’identité de l’Afrique centrale, le problème du pétrole, les facettes de la crise, le rôle de l’État, l’harmonisation fiscalo-budgétaire, l’entrepreneuriat, l’économie de prédation, et les stratégies de survie face à la crise. Il ne s’agit que d’une grille de lecture, dont le but est de mettre en lumière, par des présentations bien sommaires, les problématiques et les thèses principales des auteurs des différents textes.
1. Sur l’identité de l’Afrique centrale et la problématique d’une intégration régionale
L’Afrique centrale est-elle un concept, une construction historique, une réalité économico-politique ou une entité géopolitique? Comment délimiter objectivement l’espace appelé « Afrique centrale » ? C’est Côme Damien Georges Awoumou qui soulève ces questions dans son texte intitulé « Redimensionnement de la dynamique d’intégration de l’Afrique centrale : une nécessité? » (chapitre 9). L’auteur y apporte des réponses assez précises, puisqu’il nous indique très nettement la superficie de cet espace (6,7 millions de km2), sa situation dans le globe (24° de latitude Nord et 18° de latitude Sud) et sa démographie (113 millions d’habitants). A l’intérieur de cette délimitation géographique, il est loisible de dénombrer les pays qui constituent la région (11 pays comprenant l’Angola, le Burundi, le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Rwanda, Sao Tome et Principe et le Tchad). L’auteur signale toutefois que certaines organisations possèdent des critères particuliers, comme l’Union Africaine qui situe le Rwanda en Afrique de l’Est, l’Union Africaine qui ne compte pas l’Angola, le Burundi, le Rwanda et le Tchad parmi les pays de l’Afrique centrale, et les anglo-saxons qui situent le Cameroun et le Tchad en Afrique de l’Ouest.
S’agissant de la dynamique d’intégration en Afrique centrale, l’auteur fait remarquer qu’elle se met en place à partir du cadre colonial de l’Afrique équatoriale française dans lequel naîtra d’abord, en 1956, une Union Douanière Équatoriale (UDE). Puis en 1964 voit le jour l’UDEAC, en 1983 la CEEAC, et en 1994, la CEMAC qui se substitue à l’UDEAC. Mais il existe de nombreux obstacles à une réelle intégration économique et politique, qui sont beaucoup plus marqués pour la CEEAC (regroupant les 11 pays cités plus haut) tandis que la CEMAC (qui ne regroupe que 6 États : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad), affiche une dynamique d’intégration plutôt prometteuse. L’auteur consacre d’ailleurs à la CEMAC plusieurs pages de son texte, et invite à y « prendre appui » pour réussir l’intégration en Afrique centrale, sans avoir proposé des solutions pour le renforcement de ses acquis et le développement de ses potentialités. Si donc la CEEAC reste une institution plutôt « virtuelle », on peut envisager, à partir d’une CEMAC réformée, renforcée et élargie à l’ensemble des pays de la CEEAC une réelle intégration qui serait salutaire aussi bien pour la région que pour l’ensemble de l’Afrique.
S’agissant de la dynamique d’intégration en Afrique centrale, l’auteur fait remarquer qu’elle se met en place à partir du cadre colonial de l’Afrique équatoriale française dans lequel naîtra d’abord, en 1956, une Union Douanière Équatoriale (UDE). Puis en 1964 voit le jour l’UDEAC, en 1983 la CEEAC, et en 1994, la CEMAC qui se substitue à l’UDEAC. Mais il existe de nombreux obstacles à une réelle intégration économique et politique, qui sont beaucoup plus marqués pour la CEEAC (regroupant les 11 pays cités plus haut) tandis que la CEMAC (qui ne regroupe que 6 États : le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad), affiche une dynamique d’intégration plutôt prometteuse. L’auteur consacre d’ailleurs à la CEMAC plusieurs pages de son texte, et invite à y « prendre appui » pour réussir l’intégration en Afrique centrale, sans avoir proposé des solutions pour le renforcement de ses acquis et le développement de ses potentialités. Si donc la CEEAC reste une institution plutôt « virtuelle », on peut envisager, à partir d’une CEMAC réformée, renforcée et élargie à l’ensemble des pays de la CEEAC une réelle intégration qui serait salutaire aussi bien pour la région que pour l’ensemble de l’Afrique.
2. Le pétrole : Bénédiction ou malédiction ?
C’est devenu un lieu commun de parler du pétrole en Afrique en terme de malédiction. Les deux chapitres qui y sont consacrés confirment plus ou moins cette vision des choses, mais avec des positions nuancées. Le texte d’Etanislas Ngodi (chapitre 5 « Pétrole et géopolitique en Afrique centrale ») brosse un tableau des différents producteurs et analyse l’enjeu stratégique et géopolitique de l’or noir en Afrique centrale. On ne peut pas analyser la question du pétrole en Afrique aujourd’hui sans établir un rapport avec les conflits armés, les rivalités interethniques, l’instabilité politique, la corruption, le rôle joué par les sociétés pétrolières dans ces guerres et dans le soutien des dictatures. « Le pétrole constitue un véritable accélérateur des conflits en Afrique centrale. Du Cameroun en Angola, l’exploitation de l’or noir se présente à la fois comme un don et une malédiction. » (p. 84) Le paradoxe ou le scandale souvent évoqué, c’est la part dérisoire qui revient aux populations de ces pays producteurs de pétrole et qui ne voient guère leur sort s’améliorer. Il faut, en plus de ce problème de la « juste répartition des fruits du pétrole », poser celui de la souveraineté économique et politique des pays producteurs, qui n’est pas possible s’ils ne disposent pas des capacités propres de prospection, de production et de distribution.
Jean-Christophe Boungou Bazika (chapitre 13 : « Le pétrole dans les pays de la CEMAC ») pose la question suivante : « la possession des ressources pétrolières influence-t-elle l’évolution des institutions publiques ? » (p. 263) et y répond par l’hypothèse que « le pétrole est à la fois source d’instabilité et de stabilité » (p. 263). Pour la vérifier, l’auteur s’appuie sur les cas du Congo et du Gabon, deux pays ayant à peu près les mêmes recettes pétrolières (respectivement 65,5 % et 67,2 % des recettes publiques), qui ont aussi en commun d’être de petite taille, d’avoir des populations ayant pratiquement la même origine ethnique et d’avoir une frontière commune, mais qui ont connu des situations institutionnelles différentes avec une relative stabilité au Gabon et des conflits au Congo. La méthode de « modélisation économétrique » utilisée par l’auteur le conduit à la conclusion selon laquelle il n’existe pas de corrélation positive entre le pétrole et la stabilité (ou l’instabilité) politique : « La rente pétrolière n’est pas un facteur déterminant de la stabilité ou de l’instabilité institutionnelle. La variable déterminante est l’incapacité de l’élite politique à organiser des partis capables de fusionner et de conduire ainsi à l’existence d’un nombre limité de partis politiques influents. C’est la “statistique politique” (le nombre de partis politiques) qui joue un rôle important dans les changements institutionnels répétés et même violents. » (p. 269).
Cette thèse semble battre en brèche celle soutenue par Etanislas Ngodi, qui fait du pétrole l’une des sources principales d’instabilité politique en Afrique. Mais je ne pense pas que les deux positions soient véritablement contradictoires. Le deuxième texte ne nie pas l’influence que peut avoir le pétrole sur la stabilité (ou l’instabilité) des institutions politiques en Afrique mais montre simplement que ce lien causal indique beaucoup moins une corrélation mécanique qu’une simple potentialité. J’aurais cependant tendance à redouter d’avantage le potentiel déstabilisateur du pétrole en Afrique, comme l’illustre tragiquement la situation politique de la plupart des pays producteurs de pétrole de l’Afrique. Il faut insister sur le fait qu’une « stabilité politique » fondée sur la force, le blocage de toute alternance politique, la corruption, n’est pas à considérer comme une stabilité véritable. C’est une stabilité apparente et précaire, comme le reconnaît d’ailleurs l’auteur du second texte.
Jean-Christophe Boungou Bazika (chapitre 13 : « Le pétrole dans les pays de la CEMAC ») pose la question suivante : « la possession des ressources pétrolières influence-t-elle l’évolution des institutions publiques ? » (p. 263) et y répond par l’hypothèse que « le pétrole est à la fois source d’instabilité et de stabilité » (p. 263). Pour la vérifier, l’auteur s’appuie sur les cas du Congo et du Gabon, deux pays ayant à peu près les mêmes recettes pétrolières (respectivement 65,5 % et 67,2 % des recettes publiques), qui ont aussi en commun d’être de petite taille, d’avoir des populations ayant pratiquement la même origine ethnique et d’avoir une frontière commune, mais qui ont connu des situations institutionnelles différentes avec une relative stabilité au Gabon et des conflits au Congo. La méthode de « modélisation économétrique » utilisée par l’auteur le conduit à la conclusion selon laquelle il n’existe pas de corrélation positive entre le pétrole et la stabilité (ou l’instabilité) politique : « La rente pétrolière n’est pas un facteur déterminant de la stabilité ou de l’instabilité institutionnelle. La variable déterminante est l’incapacité de l’élite politique à organiser des partis capables de fusionner et de conduire ainsi à l’existence d’un nombre limité de partis politiques influents. C’est la “statistique politique” (le nombre de partis politiques) qui joue un rôle important dans les changements institutionnels répétés et même violents. » (p. 269).
Cette thèse semble battre en brèche celle soutenue par Etanislas Ngodi, qui fait du pétrole l’une des sources principales d’instabilité politique en Afrique. Mais je ne pense pas que les deux positions soient véritablement contradictoires. Le deuxième texte ne nie pas l’influence que peut avoir le pétrole sur la stabilité (ou l’instabilité) des institutions politiques en Afrique mais montre simplement que ce lien causal indique beaucoup moins une corrélation mécanique qu’une simple potentialité. J’aurais cependant tendance à redouter d’avantage le potentiel déstabilisateur du pétrole en Afrique, comme l’illustre tragiquement la situation politique de la plupart des pays producteurs de pétrole de l’Afrique. Il faut insister sur le fait qu’une « stabilité politique » fondée sur la force, le blocage de toute alternance politique, la corruption, n’est pas à considérer comme une stabilité véritable. C’est une stabilité apparente et précaire, comme le reconnaît d’ailleurs l’auteur du second texte.
3. Les multiples visages de la crise
Dans la première partie de l’ouvrage, quatre chapitres analysent de façon complémentaire les multiples facettes de la crise, en tâchant de mettre en évidence les facteurs qui l’ont déterminée, ses manifestations, et les conditions de possibilité d’une sortie de crise. On y traite de la dette des pays de la CEMAC, de l’ajustement structurel, des problèmes de l’emploi, des coûts de la croissance. L’analyse de la question de la dette par René Samba et André Moulemvo (chapitre 1 : « La dette extérieure, facteur d’aggravation de la crise des pays de la CEMAC. Essai d’analyse des données. ») révèle celleci, statistiques à l’appui, comme un obstacle majeur à la croissance économique et à tout effort de développement en Afrique subsaharienne. Autant on parle de la crise de la dette, autant peut-on aussi parler de la crise de l’emploi en Afrique centrale. Catherine Suzanne Ngefan (chapitre 3 : « Emploi et compressions budgétaires au Cameroun ») s’est employée à analyser cette crise, pour le cas du Cameroun, en montrant à la fois ses manifestations (gel des recrutements à la fonction publique, incitation à la retraite anticipée, abaissement de l’âge de départ à la retraite, baisse des salaires) et ses effets (baisse générale du pouvoir d’achat, aggravation de la précarité, accentuation de la pauvreté, etc.). Ni les mesures de rééchelonnement de la dette, ni les programmes d’ajustement structurel (analysés au chapitre 2 par Sylvie Eyeffa Ekomo : « L’ajustement structurel dans les pays d’Afrique centrale : bilan et perspectives »), n’ont rendu possible une sortie de la crise.
Au contraire, comme le montre le second chapitre, les moyens et les mécanismes devant permettre d’atteindre les objectifs des PAS se sont révélés à la fois économiquement inefficaces et socialement désastreux (p. 32). Il existe des difficultés supplémentaires liées au contexte de la mondialisation. Ces difficultés sont analysées par Hélène Ngamba Tchapda au chapitre 4 (« Les coûts de la croissance des économies d’Afrique centrale à l’ère de la mondialisation ») qui se demande comment, dans ce contexte où « règne la concurrence », les États d’Afrique centrale « peuvent-ils financer la croissance de leurs économies étant entendu que cette croissance engendre de nombreux coûts ? » (p.51) L’auteur fait remarquer que ces pays n’ont pas les moyens de tirer profit du commerce international qui demande des investissements conséquents (mobilisation de capitaux, production de biens compétitifs, coût élevé des transactions, transport des marchandises vers les marchés extérieurs, etc.) (p. 55).
En ayant pris acte de ces difficultés et des échecs des mécanismes de sortie de crise, les auteurs de ces textes ne voient pas d’autres solutions que celle consistant, en premier lieu à redonner aux questions sociales (santé, éducation, lutte contre la pauvreté), leur priorité. C’est pourquoi l’IPPTE est considérée comme susceptible de résoudre au moins en partie ces difficultés. La conclusion du premier chapitre mentionne la possibilité d’« une sortie progressive de la crise économique et sociale » que pourrait favoriser l’IPPTE. Cet optimisme est partagé par l’auteur du second chapitre, qui, parlant dans sa conclusion d’une « nouvelle vision du développement » vers laquelle on s’achemine aujourd’hui, mentionne précisément cette IPPTE. Le chapitre quatre développe la nécessité de procéder à des réformes concernant la santé, l’éducation, la protection sociale, le secteur public, le secteur monétaire et financier, etc…comme conditions sans lesquelles on ne saurait espérer, à court ou à long terme, une sortie de crise.
Au contraire, comme le montre le second chapitre, les moyens et les mécanismes devant permettre d’atteindre les objectifs des PAS se sont révélés à la fois économiquement inefficaces et socialement désastreux (p. 32). Il existe des difficultés supplémentaires liées au contexte de la mondialisation. Ces difficultés sont analysées par Hélène Ngamba Tchapda au chapitre 4 (« Les coûts de la croissance des économies d’Afrique centrale à l’ère de la mondialisation ») qui se demande comment, dans ce contexte où « règne la concurrence », les États d’Afrique centrale « peuvent-ils financer la croissance de leurs économies étant entendu que cette croissance engendre de nombreux coûts ? » (p.51) L’auteur fait remarquer que ces pays n’ont pas les moyens de tirer profit du commerce international qui demande des investissements conséquents (mobilisation de capitaux, production de biens compétitifs, coût élevé des transactions, transport des marchandises vers les marchés extérieurs, etc.) (p. 55).
En ayant pris acte de ces difficultés et des échecs des mécanismes de sortie de crise, les auteurs de ces textes ne voient pas d’autres solutions que celle consistant, en premier lieu à redonner aux questions sociales (santé, éducation, lutte contre la pauvreté), leur priorité. C’est pourquoi l’IPPTE est considérée comme susceptible de résoudre au moins en partie ces difficultés. La conclusion du premier chapitre mentionne la possibilité d’« une sortie progressive de la crise économique et sociale » que pourrait favoriser l’IPPTE. Cet optimisme est partagé par l’auteur du second chapitre, qui, parlant dans sa conclusion d’une « nouvelle vision du développement » vers laquelle on s’achemine aujourd’hui, mentionne précisément cette IPPTE. Le chapitre quatre développe la nécessité de procéder à des réformes concernant la santé, l’éducation, la protection sociale, le secteur public, le secteur monétaire et financier, etc…comme conditions sans lesquelles on ne saurait espérer, à court ou à long terme, une sortie de crise.
4. Quel État pour sortir de la crise ?
L’État doit être considéré comme un acteur de premier plan aussi bien pour ses défaillances, comme c’est généralement le cas en Afrique centrale, que pour sa responsabilité par rapport aux chances de sortie de la crise. Dans le chapitre 7 intitulé « Réformes de l’État et compétitivité des pays de la CEMAC » Léon Mayeko a justement centré sa réflexion sur l’État, en s’interrogeant notamment sur les « aspects institutionnels du développement ». L’auteur évalue le rôle joué par l’État en Afrique (nationalisations, réglementations du commerce extérieur, politiques de change, organisation du système financier, et l’ouverture à l’investissement direct étranger, politiques du crédit et des subventions, etc.) et montre que les institutions étatiques ont produit la « paralysie de l’appareil de production ». On a affaire à un État à la fois omniprésent et inefficace, un « État qui privilégie une logique administrative aux dépens de celle de la production. » En fait, « l’État est intervenu massivement sur les marchés, mais de façon désordonnée et en poursuivant des objectifs contradictoires. » (p. 147)
C’est pourquoi l’auteur du texte propose des mesures pour « améliorer l’efficacité de l’État » (p. 148), en insistant sur les politiques de l’investissement public, le financement des exportations, la diversification de la base productive, le développement des compétences scientifiques par la généralisation de l’éducation et le développement de l’enseignement supérieur. Les pays de la CEMAC, soutient l’auteur, ne peuvent pas soutenir la compétitivité internationale si les institutions politiques ne sont pas réformées ou réajustées à la lumière, fondamentalement, des principes de bonne gouvernance politique et économique.
C’est pourquoi l’auteur du texte propose des mesures pour « améliorer l’efficacité de l’État » (p. 148), en insistant sur les politiques de l’investissement public, le financement des exportations, la diversification de la base productive, le développement des compétences scientifiques par la généralisation de l’éducation et le développement de l’enseignement supérieur. Les pays de la CEMAC, soutient l’auteur, ne peuvent pas soutenir la compétitivité internationale si les institutions politiques ne sont pas réformées ou réajustées à la lumière, fondamentalement, des principes de bonne gouvernance politique et économique.
5. L’harmonisation fiscalo-budgétaire en zone CEMAC
La constitution d’espaces régionaux exige la mise en place de règles communes concernant le droit des affaires, les impôts, les politiques budgétaires, etc. Louis Ndjetcheu, envisage « la réforme fiscale en zone CEMAC » (chapitre 8) en posant le problème de la « recherche d’un équilibre entre concurrence et convergence à l’horizon du marché commun ». L’auteur observe en effet que le paysage fiscal des pays de la CEMAC est « marqué par l’existence des disparités et des asymétries de taille » (p. 164) très peu favorable à une réelle intégration économique. Ces asymétries se manifestent notamment au niveau des taxes douanières, dont dépend une bonne partie des ressources de la plupart de ces pays. La réforme fiscale devrait concerner aussi bien les conditions fiscales d’entrée des produits extérieurs dans les frontières CEMAC que l’imposition des entreprises à l’intérieur de chaque État membre.
Désiré Avom, dans le chapitre 10 (« la surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la zone CEMAC, un exemple de coopération sous-régionale »), oriente notre attention vers l’harmonisation des politiques budgétaires par « la mise en place d’une procédure de surveillance multilatérale » dans les pays de la CEMAC. » (p. 210). Ces politiques existent déjà, depuis la naissance de la CEMAC en 1994, à l’image de ce qu’on trouve dans les autres espaces régionaux comme l’UMOA et l’UE (Union européenne). Mais elles sont jugées laxistes, imprécises et peu audacieuses. En outre, les mécanismes de surveillance sont plus ou moins respectés par les États. Et il existe encore trop de disparités entre les pays de la CEMAC pour que soit réalisée une « convergence réelle » entre ces pays.
Désiré Avom, dans le chapitre 10 (« la surveillance multilatérale des politiques budgétaires dans la zone CEMAC, un exemple de coopération sous-régionale »), oriente notre attention vers l’harmonisation des politiques budgétaires par « la mise en place d’une procédure de surveillance multilatérale » dans les pays de la CEMAC. » (p. 210). Ces politiques existent déjà, depuis la naissance de la CEMAC en 1994, à l’image de ce qu’on trouve dans les autres espaces régionaux comme l’UMOA et l’UE (Union européenne). Mais elles sont jugées laxistes, imprécises et peu audacieuses. En outre, les mécanismes de surveillance sont plus ou moins respectés par les États. Et il existe encore trop de disparités entre les pays de la CEMAC pour que soit réalisée une « convergence réelle » entre ces pays.
6. L’entrepreneuriat
On a tendance à accorder au capital étranger un rôle décisif dans le décollage économique des pays en développement. Félix Mouko, dans son texte intitulé «Entrepreneuriat et renforcement de l’économie sous-régionale » (chapitre 11) s’inscrit en faux contre cette thèse et, tirant les leçons de la crise des pays de l’Asie du Sud-Est, soutient que « le poids du développement repose sur l’entrepreneuriat local, enraciné dans le pays pour des raisons historiques, culturelles et sociologiques, et donc plus attaché au terroir national que l’entrepreneuriat étranger marqué par la volatilité, la mobilité et la recherche permanente de régions et pays dans le monde offrant des taux de rentabilité élevés. » (p. 233). Il est urgent de réduire la dépendance des économies africaines par rapport au capital étranger par le renforcement du capital local, quitte à ce que son dynamisme permette de créer des formes de partenariat avec le capital étranger.
Le développement de l’entrepreneuriat local ou national exige une redéfinition et un renforcement du rôle de l’État. L’État possède un quasi monopole dans les marchés publics et la propriété du capital, ce qui « perturbe le fonctionnement des entreprises et les rend ainsi peu compétitives » (p. 236). L’État doit plutôt encourager les investissements privés collectifs (plutôt qu’individuels) en facilitant l’accès au capital, et en assurant un environnement juridique et politique stable et fiable.
L’article de Gérard Tchouassi analyse l’entrepreneuriat social féminin (« État, marché et entrepreneuriat social féminin ») en l’inscrivant dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. « L’économie sociale et solidaire se définit comme une approche et une pratique de l’économie fondée sur les principes éthiques de solidarité, de responsabilité, d’autonomie, d’utilité collective, de plus-value sociale et d’initiative citoyenne. » (p. 247). Cette économie a une finalité prioritairement sociale et vise l’intégration des marginalisés, des couches sociales les plus défavorisées, etc. L’un des intérêts de l’étude c’est aussi de rattacher l’économie sociale et solidaire à la question du genre. On y trouve à la fois une illustration de la participation des femmes au développement en général, mais surtout, de leur plus grande implication dans la création des entreprises sociales et solidaires. Cet article permet aussi de relativiser le paradigme État/ marché et de voir que la recherche du profit et de la rentabilité ne constituent pas forcément la loi d’airain de l’économie. C’est peut-être sur une économie sociale et solidaire qu’il faudrait le plus miser pour résoudre de façon plus décisive la question de la pauvreté en Afrique. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront jamais atteints si on s’enferme dans les paradigmes classiques de l’économie.
Le développement de l’entrepreneuriat local ou national exige une redéfinition et un renforcement du rôle de l’État. L’État possède un quasi monopole dans les marchés publics et la propriété du capital, ce qui « perturbe le fonctionnement des entreprises et les rend ainsi peu compétitives » (p. 236). L’État doit plutôt encourager les investissements privés collectifs (plutôt qu’individuels) en facilitant l’accès au capital, et en assurant un environnement juridique et politique stable et fiable.
L’article de Gérard Tchouassi analyse l’entrepreneuriat social féminin (« État, marché et entrepreneuriat social féminin ») en l’inscrivant dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. « L’économie sociale et solidaire se définit comme une approche et une pratique de l’économie fondée sur les principes éthiques de solidarité, de responsabilité, d’autonomie, d’utilité collective, de plus-value sociale et d’initiative citoyenne. » (p. 247). Cette économie a une finalité prioritairement sociale et vise l’intégration des marginalisés, des couches sociales les plus défavorisées, etc. L’un des intérêts de l’étude c’est aussi de rattacher l’économie sociale et solidaire à la question du genre. On y trouve à la fois une illustration de la participation des femmes au développement en général, mais surtout, de leur plus grande implication dans la création des entreprises sociales et solidaires. Cet article permet aussi de relativiser le paradigme État/ marché et de voir que la recherche du profit et de la rentabilité ne constituent pas forcément la loi d’airain de l’économie. C’est peut-être sur une économie sociale et solidaire qu’il faudrait le plus miser pour résoudre de façon plus décisive la question de la pauvreté en Afrique. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront jamais atteints si on s’enferme dans les paradigmes classiques de l’économie.
7. L’économie de prédation
A côté des formes « normales » d’entrepreneuriat, il existe aussi des formes plutôt « criminelles ». Théophile Dzaka- Kikouta analyse ce qu’il appelle « entrepreneuriat d’insécurité », tel qu’il s’est manifesté en particulier dans les « réseaux de contrebande de diamant et de coltan en Afrique centrale des années 1990 à nos jours » (chapitre 6). Il s’agit pour lui de montrer que la production et l’exploitation des ressources minières en Afrique centrale, et en particulier en RDC, s’opèrent essentiellement dans une « économie de prédation », impliquant de grands réseaux de contrebande animés par des acteurs locaux et des trafiquants internationaux. La mise à nu de ce trafic permet à l’auteur d’expliquer pourquoi, « nonobstant l’abondance en ressources minières stratégiques dans la majorité des pays d’Afrique centrale, on y enregistre en particulier depuis les années 1990, de faibles performances en matière de croissance économique, un affaiblissement de l’État, une montée du risque, une plus faible intégration économique sous-régionale par rapport aux pays de l’Afrique de l’Ouest (UMOA, CEDEAO) et de l’Afrique australe (SADC)» (pp. 106-107). Quand l’État est corrompu et que les institutions ne garantissent pas à la majorité des citoyens la possibilité de mener des activités pouvant permettre d’assurer normalement leur existence, les circuits informels, criminels et contrebandiers ont tendance à se développer.
8. Les mécanismes de survie
Comment les populations s’organisent-elles pour survivre dans un contexte si durement marqué par la crise ? Un certain nombre d’articles de cet ouvrage proposent des réponses à cette question. Didier Pidika Mukawa a étudié le phénomène du « kung fu » ou de la revente des parcelles familiales à Kinshasa (chapitre 14 : « La vente compartimentée des parcelles familiales à Kinshasa ou la quête d’une solution de sortie de crise ». C’est un phénomène relativement ancien, mais qui s’est accentué dans les années 1980, avec l’aggravation de la pauvreté. L’investissement des fonds obtenus de cette vente prend, pour quelques familles, la forme de l’envoi d’un enfant en Europe, et pour la plupart des familles, la constitution d’un capital pour des activités commerciales.
De l’enfant envoyé à l’étranger, on attend qu’il pourvoie régulièrement, à partir des revenus qu’il peut obtenir de ses « jobs », à l’ensemble des besoins de la famille. Et, de fait, les transferts de fond de l’étranger par des ressortissants africains constituent, pour bon nombre de pays africains, une ressource importante, supérieure d’ailleurs au montant de l’aide publique au développement. Mais l’étude révèle aussi que cette stratégie n’est pas toujours efficace. Ceux qui réinvestissent les produits de la vente des parcelles familiales dans les activités commerciales, dans un contexte général de crise économique et politique, n’ont pas toujours les retombées escomptées.
Toujours dans la même ville de Kinshasa, il existe d’autres réponses à la crise offertes par les Églises de réveil et les fan-clubs. L’analyse de ces réponses est due à Émilie Raquin (chapitre 15 : « Représentations et recompositions locales à Kinshasa : les Églises de réveil et les fan-clubs comme réponses sociales à la crise »). L’exacerbation de la misère et la dégradation des conditions de vie ont suscité la tendance, chez les jeunes à se tourner vers les églises et les fan-clubs qui leur permettent de s’exprimer librement, d’être reconnus et d’expérimenter des liens sociaux plus forts que ceux qu’ils connaissent dans le chaos urbain de Kinshasa. Les églises véhiculent des messages d’espoir, dont on ne peut sous-estimer l’importance dans un univers de pauvreté et de désespoir. Et les fan-clubs constituent un substitut de l’espace politique, un lieu où les jeunes expérimentent une forme de solidarité et de participation à l’action collective. « Dans ces lieux, la jeunesse se rassemble autour d’un but commun et d’une identité commune, met en place des projets, conçoit ses propres objectifs et une cause à défendre. » (p. 300).
Aux analyses précédentes concernant la ville de Kinshasa, il convient d’ajouter l’article de Jean Liyongo Empengele consacré à « La piraterie des œuvres d’art comme expression de la crise de l’État et de l’économie au Congo-Kinshasa » (chapitre 16). Cette piraterie concerne essentiellement les œuvres musicales des artistes locaux comme des étrangers et révèle l’impuissance de l’État et son incapacité à faire respecter les règles et à garantir les droits des producteurs des œuvres d’art qui sont privés (à 75 %) du produit de leur dur labeur. Mais, si on met à part la grande piraterie, qui est le fait de réseaux mafieux, il y a la petite piraterie du commun des citoyens qui se bat pour survivre. C’est pourquoi la solution au problème de la piraterie ne consiste pas seulement à faire respecter les règles relatives aux droits d’auteurs, mais aussi à lutter contre la pauvreté elle-même.
« Les exclus sociaux du Congo-Brazzaville» possèdent aussi leurs stratégies de survie, assez proches de ce que l’on peut observer ailleurs (à Kinshasa, à Douala, et dans certaines villes de l’Amérique latine). C’est ce que montre le texte de Jean-Pierre Missié : « Dépérissement de l’État et stratégies de survie en Afrique centrale : le cas des exclus sociaux du Congo-Brazzaville » (chapitre 17). L’auteur prend le soin de distinguer deux types d’acteurs dans ces stratégies. Il y a d’une part les « fonctionnaires déclassés », c’est-à-dire tous les salariés du secteur public qui ont subi une baisse de leurs revenus et de leur pouvoir d’achat, et d’autre part les jeunes. Les « fonctionnaires déclassés » ont pour principale stratégie l’exercice d’activités parallèles, notamment dans le commerce et l’agriculture. Les jeunes quant à eux trouvent des solutions dans les métiers des armes, les milices, le pillage, le racket exercé par les forces de l’ordre sur les transporteurs de marchandises. De nombreuses autres personnes se livrent à des « métiers » ou à des activités particulièrement dangereuses pour leur santé comme la vidange des latrines tandis que d’autres personnes se spécialisent dans l’animation des veillées funèbres.
On voit également se développer des lieux de solidarité communautaires telles les associations des jeunes originaires d’un même village, qui peuvent constituer, dans certains cas, des canaux d’accès à des fonctions administratives ou publiques. Le développement des mouvements religieux, comme à Kinshasa, apparaît également comme l’une des stratégies de survie les plus prisées. Ces mouvements sont créés, dans la plupart des cas, par des individus ne visant pas autre chose que leur propre salut économique. Mais en même temps, les personnes qui y adhèrent trouvent plus ou moins un sens à leurs difficultés, et s’en remettent à Dieu et à la nouvelle famille spirituelle ainsi constituée pour obtenir le réconfort, et pour cultiver l’espoir que le Sauveur les délivrera de la misère.
Le préfinancement communautaire des soins de santé pourrait figurer en bonne place parmi les réponses ou les stratégies de survie en contexte de crise. Mais il appartient à une analyse empirique d’établir cette hypothèse. Ce sont trois auteurs (Joachim Nyemeck Binam, Robert Nkendah et Valère Nkelzock) qui après avoir conduit une enquête dans une zone rurale du Cameroun, présentent les résultats de leurs enquêtes au chapitre 18 : « le préfinancement communautaire des soins de santé dans les communautés rurales du Cameroun central ». Le contexte de l’étude est celui d’une difficulté de plus en plus accrue pour les populations à assurer leurs soins de santé après le désengagement de l’État dans le secteur de la santé sous la contrainte des programmes d’ajustement structurel, et la baisse drastique des revenus des paysans. La mise sur pied de systèmes de préfinancement pourrait rendre les soins de santé plus accessibles aux populations. Mais les populations consentiraient-elles à consacrer des fonds à pareil projet ? Voilà la question qui préoccupe essentiellement les auteurs de ce texte. L’enquête qu’ils ont menée montre que c’est une bonne proportion de personnes qui déclarent pouvoir consacrer environ 15 % de leurs revenus annuels au préfinancement des soins de santé des membres de leurs familles. On a ainsi la preuve que quand l’État se désengage, une certaine organisation sociale permet de résoudre nombre de problèmes, en attendant que l’État réapprenne à assumer ses responsabilités.
De l’enfant envoyé à l’étranger, on attend qu’il pourvoie régulièrement, à partir des revenus qu’il peut obtenir de ses « jobs », à l’ensemble des besoins de la famille. Et, de fait, les transferts de fond de l’étranger par des ressortissants africains constituent, pour bon nombre de pays africains, une ressource importante, supérieure d’ailleurs au montant de l’aide publique au développement. Mais l’étude révèle aussi que cette stratégie n’est pas toujours efficace. Ceux qui réinvestissent les produits de la vente des parcelles familiales dans les activités commerciales, dans un contexte général de crise économique et politique, n’ont pas toujours les retombées escomptées.
Toujours dans la même ville de Kinshasa, il existe d’autres réponses à la crise offertes par les Églises de réveil et les fan-clubs. L’analyse de ces réponses est due à Émilie Raquin (chapitre 15 : « Représentations et recompositions locales à Kinshasa : les Églises de réveil et les fan-clubs comme réponses sociales à la crise »). L’exacerbation de la misère et la dégradation des conditions de vie ont suscité la tendance, chez les jeunes à se tourner vers les églises et les fan-clubs qui leur permettent de s’exprimer librement, d’être reconnus et d’expérimenter des liens sociaux plus forts que ceux qu’ils connaissent dans le chaos urbain de Kinshasa. Les églises véhiculent des messages d’espoir, dont on ne peut sous-estimer l’importance dans un univers de pauvreté et de désespoir. Et les fan-clubs constituent un substitut de l’espace politique, un lieu où les jeunes expérimentent une forme de solidarité et de participation à l’action collective. « Dans ces lieux, la jeunesse se rassemble autour d’un but commun et d’une identité commune, met en place des projets, conçoit ses propres objectifs et une cause à défendre. » (p. 300).
Aux analyses précédentes concernant la ville de Kinshasa, il convient d’ajouter l’article de Jean Liyongo Empengele consacré à « La piraterie des œuvres d’art comme expression de la crise de l’État et de l’économie au Congo-Kinshasa » (chapitre 16). Cette piraterie concerne essentiellement les œuvres musicales des artistes locaux comme des étrangers et révèle l’impuissance de l’État et son incapacité à faire respecter les règles et à garantir les droits des producteurs des œuvres d’art qui sont privés (à 75 %) du produit de leur dur labeur. Mais, si on met à part la grande piraterie, qui est le fait de réseaux mafieux, il y a la petite piraterie du commun des citoyens qui se bat pour survivre. C’est pourquoi la solution au problème de la piraterie ne consiste pas seulement à faire respecter les règles relatives aux droits d’auteurs, mais aussi à lutter contre la pauvreté elle-même.
« Les exclus sociaux du Congo-Brazzaville» possèdent aussi leurs stratégies de survie, assez proches de ce que l’on peut observer ailleurs (à Kinshasa, à Douala, et dans certaines villes de l’Amérique latine). C’est ce que montre le texte de Jean-Pierre Missié : « Dépérissement de l’État et stratégies de survie en Afrique centrale : le cas des exclus sociaux du Congo-Brazzaville » (chapitre 17). L’auteur prend le soin de distinguer deux types d’acteurs dans ces stratégies. Il y a d’une part les « fonctionnaires déclassés », c’est-à-dire tous les salariés du secteur public qui ont subi une baisse de leurs revenus et de leur pouvoir d’achat, et d’autre part les jeunes. Les « fonctionnaires déclassés » ont pour principale stratégie l’exercice d’activités parallèles, notamment dans le commerce et l’agriculture. Les jeunes quant à eux trouvent des solutions dans les métiers des armes, les milices, le pillage, le racket exercé par les forces de l’ordre sur les transporteurs de marchandises. De nombreuses autres personnes se livrent à des « métiers » ou à des activités particulièrement dangereuses pour leur santé comme la vidange des latrines tandis que d’autres personnes se spécialisent dans l’animation des veillées funèbres.
On voit également se développer des lieux de solidarité communautaires telles les associations des jeunes originaires d’un même village, qui peuvent constituer, dans certains cas, des canaux d’accès à des fonctions administratives ou publiques. Le développement des mouvements religieux, comme à Kinshasa, apparaît également comme l’une des stratégies de survie les plus prisées. Ces mouvements sont créés, dans la plupart des cas, par des individus ne visant pas autre chose que leur propre salut économique. Mais en même temps, les personnes qui y adhèrent trouvent plus ou moins un sens à leurs difficultés, et s’en remettent à Dieu et à la nouvelle famille spirituelle ainsi constituée pour obtenir le réconfort, et pour cultiver l’espoir que le Sauveur les délivrera de la misère.
Le préfinancement communautaire des soins de santé pourrait figurer en bonne place parmi les réponses ou les stratégies de survie en contexte de crise. Mais il appartient à une analyse empirique d’établir cette hypothèse. Ce sont trois auteurs (Joachim Nyemeck Binam, Robert Nkendah et Valère Nkelzock) qui après avoir conduit une enquête dans une zone rurale du Cameroun, présentent les résultats de leurs enquêtes au chapitre 18 : « le préfinancement communautaire des soins de santé dans les communautés rurales du Cameroun central ». Le contexte de l’étude est celui d’une difficulté de plus en plus accrue pour les populations à assurer leurs soins de santé après le désengagement de l’État dans le secteur de la santé sous la contrainte des programmes d’ajustement structurel, et la baisse drastique des revenus des paysans. La mise sur pied de systèmes de préfinancement pourrait rendre les soins de santé plus accessibles aux populations. Mais les populations consentiraient-elles à consacrer des fonds à pareil projet ? Voilà la question qui préoccupe essentiellement les auteurs de ce texte. L’enquête qu’ils ont menée montre que c’est une bonne proportion de personnes qui déclarent pouvoir consacrer environ 15 % de leurs revenus annuels au préfinancement des soins de santé des membres de leurs familles. On a ainsi la preuve que quand l’État se désengage, une certaine organisation sociale permet de résoudre nombre de problèmes, en attendant que l’État réapprenne à assumer ses responsabilités.
Remarques conclusives
On avait autrefois considéré la RDC comme un « scandale géologique ». Rien ne s’oppose, quand on lit les textes qui constituent cet ouvrage, à ce qu’on applique cette notion à l’ensemble de l’Afrique centrale. Voilà en effet une région riche en ressources pétrolières et minières, et dont le PNB par habitant atteint difficilement 300 dollars US par an (Cf. tableau 4, p. 36 de l’ouvrage). L’Afrique centrale s’apparente à un enfer bâti sur d’énormes richesses, et les populations qui y vivent souffrent, en vrai, le supplice de Tantale dans la mythologie grecque. Les textes qui constituent cet ouvrage permettent de mettre en évidence les multiples aspects de cette crise économique, en montrant qu’il s’agit des résultats d’une conjoncture économique et politique qu’une meilleure organisation des États peut permettre de maîtriser. La partie consacrée aux mécanismes de survie donne à l’ouvrage une originalité incontestable. On a tendance en effet à s’intéresser beaucoup plus aux stratégies institutionnelles et officielles de sortie de crise, en oubliant que dans ces pays, une bonne partie de la population aurait déjà disparu s’il fallait attendre que ces stratégies institutionnelles fonctionnent.
On ne s’empêchera pas de remarquer que l’ouvrage impressionne tant par la pertinence des analyses que par le souci de rigueur scientifique visible chez tous les auteurs. On y trouve des textes un peu trop longs, où les auteurs ont tendance à développer des points certes liés à leur sujet mais qui ne nécessitent pas forcément de longs développements. On peut peut-être le déplorer, mais on conviendra que ces développements apportent un surcroît d’informations qui ne nuisent à personne. Ceux qui souhaitent connaître les problèmes que traverse l’Afrique centrale y trouveront bien leur compte. Et pour les étudiants et les jeunes chercheurs en sciences sociales, l’ouvrage a aussi une dimension pédagogique indéniable d’un point de vue méthodologique.
On ne s’empêchera pas de remarquer que l’ouvrage impressionne tant par la pertinence des analyses que par le souci de rigueur scientifique visible chez tous les auteurs. On y trouve des textes un peu trop longs, où les auteurs ont tendance à développer des points certes liés à leur sujet mais qui ne nécessitent pas forcément de longs développements. On peut peut-être le déplorer, mais on conviendra que ces développements apportent un surcroît d’informations qui ne nuisent à personne. Ceux qui souhaitent connaître les problèmes que traverse l’Afrique centrale y trouveront bien leur compte. Et pour les étudiants et les jeunes chercheurs en sciences sociales, l’ouvrage a aussi une dimension pédagogique indéniable d’un point de vue méthodologique.
notes
* On pourra remonter au moins jusqu’à l’Esprit des lois de Montesquieu et Bug-Jargal de Victor Hugo, pour ne retenir que les auteurs les plus connus.
Auteur
Ernest-Marie MBONDA
Pagination
Pages 11-13