La CFAO et le commerce en Afrique : de la ‘troque-sous-voile’ à l’ère de la modernité

La CFAO et le commerce en Afrique : de la ‘troque-sous-voile’ à l’ère de la modernité

Tayeb Rehaïl

Oser …et réussir ! 75 aventures d’entrepreneurs dans l’Afrique de CFAO

Raymond Lehideux-Vernimmen

Ed. L’Harmattan, Paris (France), 2016, 321 pages, 29 €

ISBN : 978-2-343-08860-0

 

 

Raymond Lehideux-Vernimmen est un publicitaire et un homme de média, passionné par l’Afrique. Il a créé et dirigé plusieurs entreprises avant de rejoindre la Compagnie Française de l’Afrique Occidentale1 (CFAO) de 2002 à 2008 afin d’y mettre en place sa direction de la communication. Cet ouvrage qui propose un voyage dans le temps et dans l’espace ‘africain’, retrace l’histoire de la CFAO et propose de rendre compte d’une histoire de l’Afrique liée à celle de cette compagnie à travers 75 témoignages d’entrepreneurs et de cadres qui appartenaient à ce groupe. Constitué de dix parties, il rappelle dès le départ que de tous temps, ce sont les marchands qui ont découverts les nouvelles terres et non pas les explorateurs, ni les missionnaires et encore moins les corps expéditionnaires. En Afrique comme ailleurs, c’est le commerce qui a été le moteur des relations avec l’occident.

La CFAO fait partie des étendards de ce courant précurseur, même si l’histoire marchande du continent a débuté quelques centenaires avant celle de cette compagnie.

Effectivement, au XVe siècle, dans les grandes vagues de l’Atlantique Nord, les premiers marins qui tournent leurs compas vers le sud sont portugais. Ils décident de s’aventurer vers les dangereuses côtes de l’Afrique occidentale par soif d’exploration, mais surtout pour l’appât du gain et pour maximiser leurs profits. Ils inventent alors une technique originale : la ‘troque-sous-voile’2. Ils échangent ivoire et or contre articles de valeur et épices contre pacotille.

Ensuite, les itinéraires d’explorateurs et d’aventuriers tels Vasco de Gama et Magellan permirent au début du XVIe siècle de diriger ces derniers vers l’exploitation d’autres mers. Les Français et les Britanniques prennent alors la relève et enfreignent le monopole commercial lusitanien. Ils inventent à leur tour une autre technique marchande plus productive que celles de leurs prédécesseurs : la ‘troque-à-terre’3.

Alors qu’ils érigent un premier comptoir fortifié, pour stocker leurs marchandises, la traite humaine voit le jour et prend le relais du commerce des produits naturels, car elle s’avère plus lucrative pour les deux parties. Au XVIIIe siècle, les négriers européens amplifient leurs abominables échanges triangulaires avec les Amériques, ce qui consolide leurs fortunes.

En 1843, Verminck Charles-Auguste, âgé de 16 ans et ainé de 13 enfants d’une famille d’immigrés, se présente comme candidat matelot à l’embarcadère du quai d’Orléans (Vieux Port de Marseille). Il est alors autodidacte et sans le sou.

Près de dix années plus tard, en 1852, il fonde sa « compagnie » à Marseille et en Gambie. Le groupe CFAO est donc né en 1852, bien après l’abolition de l’esclavage et bien avant le lancement de la colonisation. Il ne participera d’ailleurs ni à l’un ni à l’autre ; ni de près, ni de loin.

Ce groupe invente à son tour un système commercial original : la ‘traite produits-marchandises’. Cette activité dite de « négociant à la côte », consiste à échanger des produits agricoles, récoltés en Afrique, contre des marchandises manufacturées, fabriquées en Europe. Il « achète deux fois (en Europe, puis en Afrique), affrète ses navires à l’aller comme au retour, vend deux fois (en Afrique, puis en Europe) et marge donc…quatre fois » (p. 4).

Pour stocker produits et marchandises, il construit comptoirs et factoreries et organise des expéditions à objectifs commerciaux et géographiques (il organise des voyages aux sources afin de faire des reconnaissances de lieux pour y installer ses entrepôts et faciliter les transactions avec les autochtones).

Mais il se rend compte que pour réussir à vendre beaucoup de marchandises aux indigènes de la côte d’Afrique, il faut leur permettre d’avoir suffisamment de pouvoir d’achat. La raison, dans ce cadre, est de faire passer l’indigène du statut de paysan fournisseur à celui de client-acheteur. Ce passage du système de troque à l’économie monétaire réussit à se réaliser vers 1887.

Les ruptures de l’histoire qui donnent naissance à certaines innovations au courant du XIXe siècle, participent eux aussi à leur manière au développement de l’activité des groupes de distribution, comme par exemple les accélérations technologiques, le raccourcissement des temps de transport, la métamorphose des télécommunications et la mondialisation du commerce.

La communication « morse » qui relie les continents dès l’aube du XXe siècle permet par exemple de faire des commandes en temps réel. Cette technique de télécommunication est remplacée à partir de 1920 par la télégraphie sans fil (TSF).

Dès 1913, la CFAO signe un contrat pour distribuer des voitures sur la côte d’Afrique. Juste après, la mobilisation générale pour la Première Guerre mondiale de 1914 ampute les effectifs de la CFAO. Pour parer à cela, cette dernière recrute des employés suisses.

Après l’armistice en 1918, le moteur du développement de la compagnie est la vente d’automobiles (et de camions). La CFAO participe même à l’expédition ‘promotion’ de Citroën, voiture française qui parcourt en 1924 26 000 km en neuf mois du nord au sud d’un continent vierge de toute trace de pneu.

Après deux décennies, la compagnie est de nouveau touchée par les effets négatifs d’une Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage nous relate les péripéties du retour de certains employés vers leurs postes de travail après la fin de la guerre. Cet épisode, permet de mettre en scène le développement des moyens de transport sur le continent noir.

Ensuite, à travers des récits tirés de carnets de bord de certains acteurs de l’époque, l’auteur nous renseigne sur la « reconstruction » de la compagnie après la Seconde Guerre mondiale. Mais à partir de 1945, deux superpuissances dominent la planète : les USA et l’URSS, qui se livrent désormais une guerre idéologique.

L’ouvrage contient également une présentation de quelques passages du livret d’accueil de la CFAO (de l’année 1954), qui permet de donner une idée sur le règlement intérieur auquel devait se conformer les employés de la compagnie à l’époque.

La CFAO avait également des compagnies de négoce ultramarin concurrente qui travaillaient sur son terrain, telles la Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA, créée en 1898) et la Société Commerciale et Industrielle de la Côte d’Afrique (CICA, créée en 1917), qui fut ensuite absorbé par la CFAO en 1959.

La compagnie, dans un souci de gain, de profit et de rentabilité, s’est même engagée à un certain moment dans un processus de fabrication locale de boissons et dans des investissements divers qui influent le domaine de l’agriculture.

La CFAO a également vécu dans les contextes de colonisations et d’indépendances de différents pays de l’Afrique ainsi que des guerres civiles et des pillages (comme par exemple, les émeutes des années 90 à l’Ile de la Réunion, ou au Zaïre en 1997…).

La compagnie a fermé pour la seconde fois depuis 100 ans, puis fut reprise en main par François Pinault au début des années 80. En juin 1993, ce dernier place son fils François-Henri à la présidence de la CFAO. La compagnie a vécu en 1994 la dévaluation de 50 pour cent de la valeur du franc CFA qui est une monnaie commune à 13 pays dans lesquels la compagnie opérait (cette dévaluation fut opérée afin de redonner de la compétitivité aux exportations locales).

Depuis, de péripétie en péripétie, le continent africain a franchi le cap de la modernité et la CFAO, seule survivante des grands groupes de distribution du XIXe siècle, s’y développe toujours avec succès.

La dernière phrase à la fin de l’ouvrage (p. 292) invite le lecteur à écrire la suite des aventures entreprenariales de la CFAO…

Le récit s’arrête brusquement après l’une des aventures entreprenariales où l’on apprend que la CFAO avait racheté en 2002 les garages de l’Africain Lakes Corporation au Malawi et que cette dernière (l’ALC) fut ensuite totalement liquidée en 2009.

Le titre de l’ouvrage propose de relater les aventures d’entrepreneurs dans l’Afrique de la CFAO de 1852 à 2016. Cependant, l’auteur ne nous fait part d’aucune aventure de la CFAO à l’ère d’internet et des transactions numériques.

Le 3 décembre 2009 le titre CFAO est introduit à la Bourse de Paris et en juillet 2012, Toyota Tsusho Corporation (TTC) acquiert 29,8 pour cent du capital de CFAO pour 687 millions d’euros4. Le 17 décembre 2012, TTC rachète presque l’intégralité5 des parts de CFAO, et le 30 décembre 2016, la compagnie sort de la cotation et devient une filiale détenue à 100 pour cent par le Groupe TTC.

Comme nous le montre l’ouvrage, le Groupe, traversant un grand nombre de crises internationales, a su, à chaque fois, utiliser ses capacités à se réinventer et à s’adapter aux nouveaux contextes et aux nouvelles situations.

CFAO est aujourd’hui présente dans 36 pays africains, 7 Collectivités Territoriales Françaises d’Outre-Mer, au Vietnam et au Cambodge6.

Elle opère dans les métiers de la distribution automobile, de la distribution de biens d’équipements, d’engins industriels et agricoles, de la location de flottes de véhicule, de la production, de la distribution pharmaceutique, des nouvelles technologies de l’information et de la communication, de la production et la distribution de produits de consommation, de la construction et la gérance de centres commerciaux en Afrique.

En 2016, avec 15 200 collaborateurs dans 43 pays, CFAO réalise un chiffre d’affaire de 4,2 Milliards d’Euro, grâce à 80 pour cent des ventes effectuées en Afrique et également à ses 53 filiales qui sont réparties à travers le monde7.

 

Notes

  1. Compagnie marchande.
  2. Les voiliers sont transformés en comptoirs flottants, afin de ne pas mettre pieds à terre, par méfiance de la population autochtone. Et les autochtones viennent proposer leurs transactions en utilisant leurs pirogues.
  3. Les transactions se déroulent encore sur les navires comptoirs qui n’accostent près des rivages que le temps d’un marchandage.
  4. Ivan Letessier, « PPR sort de CFAO grâce à un groupe japonais, » Le Figaro, 27 juillet 2012 ; et Stéphane Lauer, « CFAO: out of Africa, » Blogs Le Monde, 28 août 2012.
  5. « CFAO définitivement japonais, » Jeune Afrique, 24 décembre 2012.
  6. http://www.cfaogroup.com/, consulté le 28 septembre 2017.
  7. http://www.cfaogroup.com/ fr/chiffres-cles, consulté le 28 septembre 2017.

 

 

 

 

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